(Ottawa) La décision d’accorder à Siemens Canada le droit de contourner les sanctions contre Moscou a été « très difficile » à prendre, mais elle était nécessaire, plaide Justin Trudeau. Pendant ce temps, Gazprom affirme ne pas être en mesure de recevoir la pièce, semant ainsi l’incertitude sur la réouverture du gazoduc qui a été fermé pour un entretien annuel de routine.

« Les sanctions sont là pour punir [Vladimir] Poutine et ses amis, et non pas pour punir nos alliés et les populations de l’Europe », a insisté le premier ministre du Canada en marge d’une annonce à Kingston, en Ontario, mercredi.

Le Canada est « l’un des pays les plus farouchement alliés » de l’Ukraine, mais il n’avait d’autre choix, face à la Russie qui « tente constamment de faire de l’énergie une arme pour diviser les alliés », de faire ce geste, a-t-il insisté.

« L’Allemagne et d’autres pays en Europe font face à une crise énergétique s’ils n’ont pas la capacité d’avoir ce gaz naturel », a enchaîné Justin Trudeau.

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Justin Trudeau, premier ministre du Canada, à Kingston, en Ontario, mercredi

Nous allons continuer d’être là pour nos alliés […] dans les années à venir alors qu’ils travaillent à enlever leur dépendance [au] pétrole et [au] gaz russes.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Menaces voilées de Gazprom

Le propriétaire et exploitant de la canalisation de 1200 km reliant la Russie et l’Allemagne, Gazprom, figure sur la liste canadienne des entreprises visées par des sanctions économiques. La société a plaidé qu’en l’absence d’une turbine bloquée à Montréal, une réduction du volume serait inévitable.

Et voilà que mercredi, le géant gazier russe a affirmé être dans l’impossibilité de confirmer qu’il récupérerait la fameuse turbine qui était en réparation dans les installations de Siemens, non loin de l’aéroport Montréal-Trudeau.

Il laisse donc planer la menace que le robinet fermé il y a deux jours, pour l’entretien annuel régulier de 10 jours, pourrait ne pas rouvrir, ce que craint l’Europe. « Gazprom n’a en sa possession aucun document permettant à Siemens de faire sortir du Canada le moteur de turbine à gaz », a déclaré l’entreprise sur Twitter.

« Dans ces circonstances, il apparaît impossible de tirer une conclusion objective sur les développements ultérieurs en ce qui a trait au fonctionnement en toute sécurité de la station de compression Portovaïa, une infrastructure essentielle du gazoduc Nord Stream », prévient la société sur ce compte en anglais.

Mais où se trouve la turbine de la discorde en ce moment ?

« Aucun commentaire », a-t-on réagi chez Siemens Energy, mercredi.

Une « durée limitée » de deux ans

Le ministre canadien des Ressources naturelles, Jonathan Wilkinson, a délivré un « permis révocable d’une durée limitée » à Siemens Canada permettant à l’entreprise de faire une entorse aux sanctions contre le Kremlin et d’envoyer à la Russie, via l’Allemagne, six turbines.

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Jonathan Wilkinson, ministre des Ressources naturelles

Une « durée limitée » qui est de deux ans, a-t-on finalement précisé, mercredi. En vertu de cette dérogation, l’entreprise peut recevoir et livrer, à des fins d’entretien, six turbines. Ni le gouvernement ni Siemens n’ont précisé où se trouvaient les autres turbines que celle sur laquelle Gazprom veut mettre la main.

Avant l’annonce de ce passe-droit, il avait toujours été question d’une turbine, au singulier.

Appel à annuler l’exemption

Les partis d’opposition fédéraux ont exhorté le gouvernement Trudeau à casser cette décision.

Les élus conservateurs et néo-démocrates qui siègent au Comité permanent des affaires étrangères et du développement international ont réclamé la tenue d’une rencontre immédiate afin de se pencher sur cette affaire.

Aucune décision n’a encore été annoncée par le président de ce comité, le libéral Ali Ehsassi.

Différends entre alliés

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a très mal réagi au geste posé par le gouvernement Trudeau. Il a publié lundi soir une vidéo pour sermonner Ottawa, en annonçant que le chargé d’affaires du Canada en Ukraine avait été convoqué afin d’en discuter.

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Volodymyr Zelensky, président de l'Ukraine

En revanche, les États-Unis, l’Allemagne et la Commission européenne ont appuyé Ottawa.

Le Congrès mondial ukrainien, pour sa part, a déposé une demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale afin de contester cette décision qui « n’était pas raisonnable, transparente, ou dûment autorisée », et qui constitue une « grave erreur aux conséquences désastreuses ».