Le nombre de ménages de la classe moyenne qui se retrouve à la rue depuis le 1er juillet, faute de logement adéquat, est en pleine augmentation. Ces nouveaux itinérants se butent toutefois à des portes fermées et des lits pleins

La crise du logement continue de faire des victimes : de nouveaux visages apparaissent dans les ressources en itinérance au Québec cet été. Pendant ce temps, des dizaines de ménages toujours sans logis depuis le 1er juillet peinent à retrouver un toit.

« Juste au niveau de l’Hôtel-Dieu, il y a eu plus de 50% d’augmentation de personnes cognant à notre porte pour de l'aide depuis le 1er juillet. Évidemment, c’est majeur », souligne Julie Grenier, conseillère auprès de la Mission Bon Accueil. L’Hôtel-Dieu est un refuge d’urgence pour personnes itinérantes ouvert 24 heures sur 24 à Montréal.

La métropole n’est pas la seule ville du Québec où on observe une augmentation de l’itinérance. À Gatineau, trois services d’hébergement (Mon Calme, Transit et Gîte Ami) ont accueilli 68 nouvelles personnes entre le 1er mai et le 31 juillet. De ce nombre, 27 personnes avaient perdu leur logement dans les trois mois précédant leur arrivée.

« On a des gens qui appartiennent à la classe moyenne, qui n’avaient pas de problème avant », raconte Éric Boulay, directeur général de Lauberivière, à Québec.

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

Éric Boulay, directeur général de Lauberivière

J’ai de plus en plus de personnes qui ont un emploi et qui, malheureusement, se retrouvent ici. Là, elles risquent de développer des problèmes de santé mentale. On crée de nouveaux itinérants.

Éric Boulay, directeur général de Lauberivière

Entre 2017 et 2021, à Québec, le nombre de nuitées offertes par Lauberivière à des personnes sans domicile fixe est passé de 24 808 à 41 300, une hausse de près de 40 % d’occupation.

Au Partage Saint-François, organisme de Sherbrooke, on doit refuser des demandes toutes les nuits faute de places. Si une hausse draconienne des refus n’a pas été observée par le directeur général, Sébastien Laberge, « d’année en année, il y a une augmentation des demandes », assure-t-il.

De plus en plus difficile de sortir de la rue

Les organismes sont unanimes : l’un des effets de la crise du logement est qu’aider les gens à sortir de la rue est de plus en plus difficile.

En Outaouais, la hausse des prix du loyer, le manque d’habitations et de logements sociaux compliquent tout. « Certains nouveaux usagers travaillent, mais ils ne peuvent plus se loger, dénonce François Lescalier, du Gîte Ami. Et comme il y a un manque criant de logements sociaux à Gatineau, le temps de séjour augmente dans nos sites. Bref, le continuum de services que nous proposons est comme un entonnoir qui risque de se boucher. »

Une vision partagée par Sébastien Laberge, à Sherbrooke. « La crise du logement affecte les gens en situation d’itinérance, mais pas pour l’entrée. Pour la sortie », estime-t-il.

Sans compter que la violence et les problèmes de santé mentale ont aussi décuplé, affirme M. Laberge.

Ce qui est flagrant dans les dernières années, ce sont les cas de violence, d’intoxication sévère et de psychose. On voit tous les jours des cas qu’on voyait une fois par semaine ou une fois par mois il y a quatre ou cinq ans.

Sébastien Laberge, directeur général du Partage Saint-François

Selon lui, le réseau de la santé n’est plus en mesure d’offrir les services nécessaires aux personnes sans domicile fixe. Résultat, « on est en train d’avoir des asiles à ciel ouvert dans nos rues », déplore-t-il.

À Québec, Lauberivière sort beaucoup plus de gens de l’itinérance qu’il y a 20 ans, explique M. Boulay. « Mais les besoins sont tellement grands que ça ne suffit pas. »

Des dizaines de ménages toujours en quête d’un logis

Pendant ce temps, des dizaines de ménages accompagnés par les services d’urgence des municipalités du Québec depuis le 1er juillet peinent à se reloger. Jeudi, ils étaient toujours 121 à Montréal et 73 à Drummondville, selon Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). Le 1er août dernier, 500 ménages étaient toujours à la rue à travers la province, selon une compilation du FRAPRU.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU

​​Beaucoup sont hébergés chez des proches, on a des familles en camping. Plus le temps passe, moins ces plans B là tiennent la route.

Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU

Force est de constater que le soutien offert par le gouvernement du Québec depuis mai pour accompagner les familles à la rue ne donne pas les résultats escomptés. Seules une centaine de subventions au loyer sur les 1600 offertes par le gouvernement avaient été attribuées en date de jeudi, selon Mme Laflamme. Pourquoi ? Par manque de logements ou de propriétaires prêts à louer aux locataires qui en bénéficient.

LISEZ le communiqué de la Société d'habitation du Québec

« Le filet social, en habitation, est troué, assène Mme Laflamme. Pendant des années, on n’a pas investi dans le logement social. Là, ça laisse des gens dans des situations complètement inacceptables pour une société riche comme la nôtre. Jusqu’à quand va-t-on tolérer ça ? »

En savoir plus
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    Estimation du nombre de personnes en situation d’itinérance visible au Québec en 2018
    3149
    Estimation du nombre de personnes en situation d’itinérance visible à Montréal en 2018
    SOURCE : Ministère de la Santé et des Services sociaux