Une diplômée de l’École nationale de police qui a commis dans sa jeunesse des délits mineurs ne cesse d’essuyer les refus de corps policiers

En théorie, tous les corps policiers recherchent des candidates comme Véronique*.

Diplômée de l’École nationale de police du Québec (ENPQ), la trentenaire est titulaire d’une maîtrise en criminologie en plus d’avoir travaillé comme intervenante psychosociale auprès de populations vulnérables.

En pratique, aucun ne veut d’elle.

Véronique a connu de graves problèmes de consommation de drogue qui l’ont menée à la rue. À l’époque, alors qu’elle entrait à peine dans l’âge adulte, elle a commis des délits mineurs pour acheter de la drogue. Elle était en « survie ». On parle d’infractions punissables par procédure sommaire (moins graves que les actes criminels).

Depuis l’obtention de son diplôme de l’ENPQ l’an dernier, elle a postulé auprès de sept corps policiers. Elle a obtenu des entrevues d’embauche partout. Mais sa candidature n’a été retenue nulle part, à une exception près, où le processus s’est terminé abruptement.

Des refus qui surviennent alors que plusieurs corps policiers peinent à pourvoir les postes vacants. Des experts entrevoient même une pénurie d’agents d’ici quelques années.

Véronique est sobre depuis 16 ans. Elle est fière de s’en être sortie.

Mes expériences de vie sont un atout, car j’ai réussi à me relever. Cela m’a apporté une grande ouverture d’esprit et une empathie.

Véronique

Un parcours qui ferait d’elle une bonne policière, croit-elle. À condition d’obtenir sa chance.

Lors des entrevues d’embauche, elle a misé sur la transparence, car c’est ce qu’on attend des policiers ; qu’ils soient honnêtes et intègres, souligne-t-elle.

Fait important : Véronique a obtenu une suspension de son casier judiciaire (communément appelée « pardon »). En d’autres mots, les informations contenues dans son casier sont devenues inaccessibles, sauf dans des circonstances très particulières. Les corps de police peuvent toujours découvrir son passé au moment de mener leur enquête de sécurité.

C’est à la suite de l’obtention du « pardon » qu’elle a pu être admise en techniques policières au cégep John-Abbott, puis à l’ENPQ.

Enquêteur retraité de la Gendarmerie royale du Canada et enseignant à John-Abbott, Joe Tomeo ne tarit pas d’éloges à propos de son ancienne élève. « J’en prendrais 30 comme elle dans ma classe. Elle était très sérieuse, très bonne et vraiment déterminée », dit celui qui a consacré 28 ans de carrière à mener des enquêtes antidrogues. Il s’explique mal pourquoi personne ne lui donne sa chance.

« J’en ai vu, des victimes de l’héroïne durant ma carrière. Pour survivre, tu fais des choses que tu ne ferais pas si tu n’étais pas accro, lâche le policier à la retraite. Elle, ça fait 16 ans qu’elle est sobre. Elle a gagné sa bataille. Elle mérite d’être applaudie. »

La quête de « candidats humains »

« Nous vivons dans une société qui est censée croire en la réhabilitation. C’est la base même de notre système de justice et pourtant, on ne lui donne pas sa chance », déplore la policière à la retraite Cindy Walford.

Mme Walford a travaillé au sein de la première unité policière consacrée à la santé mentale au Québec lorsqu’elle travaillait au Service de police de l’agglomération de Longueuil. Elle a connu Véronique au moment où cette dernière multipliait les démarches pour se trouver un poste.

Aux yeux des deux policiers retraités, il ne fait aucun doute que Véronique ferait une bonne policière. « Avec son vécu, elle peut certainement être un atout », dit M. Tomeo, qui a participé à de grandes opérations policières internationales.

Je trouve cela tellement incompréhensible qu’après tous ses efforts, elle se heurte à des portes fermées, alors que tous les corps policiers cherchent des candidats humains, capables de travailler auprès des gens vulnérables.

Cindy Walford, policière à la retraite

Véronique a commencé à prendre de la drogue à l’adolescence. Assez vite, elle est tombée dans les drogues dures. À 16 ans à peine, elle s’injectait de l’héroïne.

« Je viens d’un bon milieu avec des parents aimants. J’allais à mes cours. J’écoutais mes parents, raconte celle qui a fréquenté l’école privée. Ils se doutaient que je consommais, mais ils ne se rendaient pas compte que je m’enlisais. »

La jeune Véronique termine son secondaire, mais elle trébuche au cégep. Sa dépendance à l’héroïne est forte. Elle se retrouve à la rue. La chute est brutale. Elle y restera cinq ans.

Véronique fait quelques allers-retours en détention pour des délits mineurs (aucun crime contre la personne, précise-t-elle). À son dernier séjour derrière les barreaux, elle a une prise de conscience : « Soit je meurs dans la rue, soit je m’en sors. »

Elle a décidé de s’en sortir. « J’ai eu la chance d’avoir le soutien de mes parents. » Elle a réussi à se sevrer de l’héroïne. Et elle n’a pas rechuté.

Un souhait : aider les autres

Durant ses cinq années dans la rue, des patrouilleurs l’ont souvent abordée dans son squat pour s’enquérir de ses besoins. Et ils l’ont parfois arrêtée pour des délits mineurs. « Avec le recul, je suis reconnaissante, dit-elle. En faisant leur travail, ils m’ont beaucoup aidée. »

Véronique s’imagine bien rejoindre une équipe de policiers spécialisés en santé mentale ou en itinérance. « Je veux me servir de mon expérience pour redonner à la société, pour aider les autres », dit-elle.

La jeune femme n’a jamais cru que ce serait simple.

Dès le départ, je savais que ce serait difficile d’accéder à cette profession-là en raison de mes antécédents judiciaires.

Véronique

Elle a dû attendre d’obtenir une suspension de son casier judiciaire (ça a pris cinq ans) avant de pouvoir intégrer l’ENPQ**. Elle a donc fait un baccalauréat en sécurité et études policières, puis une maîtrise en criminologie à l’Université de Montréal (UdeM), avant de finalement accéder à la formation de ses rêves.

Son directeur de mémoire à la maîtrise, le professeur à l’École de criminologie de l’UdeM Rémi Boivin, se souvient d’elle comme d’une bonne étudiante. Il ignorait tout de son passé, mais il se souvient de ses qualités humaines.

« C’est tellement dommage qu’elle essuie autant de refus, réagit le professeur, mais ce n’est pas surprenant. » Les corps policiers misent trop sur les résultats scolaires des candidats et pas assez sur leurs expériences de vie, explique-t-il.

« C’est un gros manque dans la formation policière », avance le professeur qui a lui-même travaillé au Service de police de la Ville de Montréal. La police se prive ainsi de candidats avec des profils atypiques qui pourraient enrichir ses rangs, affirme-t-il.

« Si l’on croit vraiment à la réhabilitation, conclut Véronique, je suis l’exemple que notre système fonctionne. »

La Sûreté du Québec (SQ) indique ne pas pouvoir commenter de cas précis. Un candidat ayant obtenu la suspension de son casier judiciaire est-il automatiquement exclu du plus grand corps policier québécois ? « Ce n’est pas un critère d’exclusion. C’est du cas par cas, explique sa porte-parole Ann Mathieu. On mène une évaluation globale du candidat. »

Une personne ayant obtenu son pardon doit-elle le mentionner comme l’a fait Véronique au moment de son entrevue d’embauche ? « C’est toujours bon de mettre cartes sur table, précise la lieutenante de la SQ. Pas seulement dans la police, mais dans n’importe quelle entrevue d’embauche, l’honnêteté est privilégiée. »

* Véronique a demandé l’anonymat, craignant d’anéantir ses chances d’être embauchée par un service de police si elle témoignait à visage découvert.

** Ne pas avoir été reconnu coupable, en quelque lieu que ce soit, d’un acte ou d’une omission que le Code criminel décrit comme une infraction est l’une des conditions minimales pour être embauché comme policier, selon la Loi sur la police. Toutefois, un candidat qui a été reconnu coupable d’une infraction pour laquelle il a obtenu une réhabilitation administrative (pardon) ou une absolution conditionnelle ou inconditionnelle peut être admis au programme de formation initiale en patrouille-gendarmerie, précise une porte-parole de l’ENPQ en nous dirigeant vers le site web de l’organisation.