À peine plus de 24 heures avant sa convocation à l’aéroport pour être renvoyée au Burkina Faso, Rufine Zongo a appris jeudi que son aller simple vers la peur était annulé. Victime de deux mariages forcés marqués par la violence, cette préposée aux bénéficiaires espère maintenant pouvoir rester au Canada en vertu d’une demande humanitaire. Un permis de séjour temporaire lui sera octroyé prochainement, a indiqué Ottawa vendredi.

Rencontrée dans les locaux de l’organisme montréalais Mouvement contre le viol et l’inceste (MCVI) jeudi après-midi, Mme Zongo était tout sourire derrière son couvre-visage.

« Encore une journée de plus ! Je suis tellement contente ! »

Il était pratiquement minuit moins une. Ce vendredi à 17 h, elle était attendue à l’aéroport Montréal-Trudeau pour prendre le vol censé la ramener dans son pays d’origine, qu’elle avait fui trois ans auparavant. Un peu avant 15 h jeudi, une agente d’Immigration Canada l’a appelée pour lui dire de ne pas s’y présenter parce que le voyage était annulé, sans plus de détails.

« Nous pouvons confirmer que le renvoi de Mme Zongo a été suspendu et qu’un permis de séjour temporaire lui sera délivré prochainement », a indiqué un porte-parole d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada par courriel vendredi matin.

L’avocat de Mme Zongo, qui avait prévu déposer une ultime demande de sursis à la Cour fédérale en fin de journée jeudi, s’est donc attelé à un recours plus prometteur.

« Il y a une fenêtre pour qu’on dépose une demande basée sur des considérations d’ordre humanitaire. Ça peut prendre d’une à deux semaines, mais je vais travailler en mode accéléré, vu la situation de précarité de madame », a indiqué MMurhula Jugauce Mweze en entrevue téléphonique.

Traitement inhumain

Selon les informations fournies par MCVI, qui soutient Mme Zongo dans ses démarches, la femme de 38 ans a été mariée de force une première fois à 14 ans et, lorsque son conjoint est mort, une deuxième fois au frère du défunt.

On m’avait attachée, enchaînée. Je ne veux pas être dans un foyer où tu n’arrives pas à manger ni à boire et où on te bat comme un animal !

Rufine Zongo

N’ayant pas obtenu le statut de réfugié à son arrivée au Canada, en septembre 2019, elle a chargé un premier avocat de déposer une demande d’examen de risque avant renvoi (ERAR) ainsi qu’une demande humanitaire.

La demande ERAR a été refusée. Quant à la demande humanitaire, elle n’a jamais été soumise, ce premier avocat ayant « quitté le pays en laissant son dossier en suspens » malgré la « grande somme d’argent versée », dénonce MCVI. (L’avocat actuel, MMweze, a repris le dossier il y a moins de 15 jours.)

La semaine dernière, Mme Zongo, qui habite près de la station de métro Lionel-Groulx, est allée cogner au bureau de son député fédéral, le libéral Marc Miller. L’arrêt de la procédure d’expulsion était « la clé » pour que Mme Zongo « puisse déposer une bonne demande avec une représentation légale adéquate », s’est réjouie la responsable du bureau de circonscription. « On est tellement contents ! Mon équipe a regardé des centaines de documents en quelques jours », a commenté Lisa Montgomery au téléphone.

Le cabinet du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, n’avait pas répondu à notre demande de commentaires jeudi soir.

« Je veux vivre encore longtemps, je les supplie de me garder », nous a dit Mme Zongo.

Le cœur au travail

La résidence privée pour aînés (RPA) Le Saint-Michel, où elle est employée comme préposée aux bénéficiaires, espère la revoir bientôt.

« Elle a toujours été à son heure et à son poste. Elle est souriante, les gens l’ont toujours appréciée et moi aussi », nous a spontanément souligné la réceptionniste, Louise Laurendeau. L’employeur, dit-elle, a fourni des lettres à l’intention des responsables de l’Immigration.

Embauchée comme préposée à l’entretien en février 2021, Mme Zongo a ensuite suivi une formation pour devenir préposée aux bénéficiaires. Son plus récent quart de travail remonte au week-end dernier, dans la nuit de samedi à dimanche.

Si on me donne l’autorisation, je vais aller travailler. J’aime tellement mes résidants là-bas, ils me manquent même beaucoup !

Rufine Zongo

Mme Zongo étant sans statut, sa situation demeure urgente, explique MMueza. « Dès demain [vendredi], il faut qu’on se mette sur la demande humanitaire. Le ministre peut l’approuver rapidement. »

Au bureau du député Miller, on espère qu’il sera maintenant possible de régulariser son statut. « Je crois qu’elle sera une citoyenne incroyable ! Elle mérite une chance », a fait valoir Mme Montgomery.