(Ottawa) Un long convoi de véhicules organisé par les Farfaadas a emprunté l’autoroute 50 en direction de Gatineau le 29 janvier pour « participer au plus grand rassemblement de l’histoire du Canada afin d’unir le peuple ». Le leader de ce groupe québécois opposé aux mesures sanitaires, Steeve Charland, a témoigné à la Commission sur l’état d’urgence mardi.

Deux organisateurs du « convoi de la liberté », Chris Barber et Brigitte Belton, ont également été questionnés. C’était la première fois que des manifestants donnaient leur version des faits depuis le début de cette enquête publique le 13 octobre.

« Il y a des choses que je trouve qui ont été excessives », a dit M. Charland pour expliquer sa participation à la manifestation qui se voulait à l’origine contre l’obligation vaccinale imposée par le gouvernement fédéral aux camionneurs. Il a notamment fait allusion au couvre-feu imposé par le gouvernement québécois.

La file de véhicules qui ont répondu à l’appel des Farfadaas mesurait 107 kilomètres, selon M. Charland. Il a dépeint son groupe comme étant pacifique et a insisté sur le fait qu’il avait nourri « des centaines d’itinérants de Gatineau et d’Ottawa » lors de son séjour dans la région de la capitale fédérale. Il a affirmé qu’il n’avait pas le contrôle sur toutes les personnes qui avaient décidé de se joindre à eux.

Le mouvement Farfadaas est grand, mais on n’est pas responsable de tous les Québécois.

Steeve Charland, leader des Farfadaas

Le groupe avait installé son quartier général dans un stationnement du centre-ville de Gatineau qu’il louait 1000 $ par jour, mais il était également présent sur la rue Rideau à quelques kilomètres de la colline du Parlement. La police d’Ottawa s’inquiétait de sa présence à l’angle des rues Rideau et Sussex, selon le témoignage de la chef adjointe intérimaire du Service de police d’Ottawa, Patricia Ferguson, livré le 20 octobre. Elle avait dépeint le groupe comme étant « hostile », intimidant et lui attribuait la fermeture du centre commercial Rideau, le plus gros de la ville. Une opération réunissant 400 policiers avait même été organisée le 9 février pour les déloger, mais avait avorté à cause de désaccords dans la cellule de crise.

L’un des organisateurs du « convoi de la liberté », Chris Barber, a également témoigné plus tôt mardi que des Québécois stationnés à cet endroit refusaient de déplacer leurs camions même s’il leur avait demandé de le faire.

« On n’a pas occupé Rideau et Sussex », a répondu M. Charland. Lors d’une mêlée de presse après son témoignage, il a indiqué ne pas comprendre pourquoi on attribuait aux Farfadaas la responsabilité des gens installés à l’angle de ces rues. « Les gens sont tous tannés tout seuls et ils ont décidé de se lever tout seuls, a-t-il dit. Je n’ai pas appelé personne pour leur dire “bloquez telle rue et telle rue”. »

Il a indiqué qu’après avoir été escortés par la GRC pour traverser le pont Macdonald-Cartier de Gatineau à Ottawa, les membres du convoi des Farfadaas se sont installés le plus loin qu’ils pouvaient sur la rue Rideau, mais qu’il y avait déjà des camions. Il n’a pas pu préciser où exactement sur la rue. La question est revenue à plusieurs reprises, ce qui a visiblement agacé le témoin.

Lors de son contre-interrogatoire par l’avocate du gouvernement, Caroline Laverdière, il lui a demandé si elle représentait le gouvernement du Canada ou les libéraux. « Je représente le gouvernement du Canada », a-t-elle clarifié. Plusieurs de ses questions ont porté sur les vestes de cuir et le logo des Farfadaas.

M. Charland a rejeté toute allégation de comportement violent durant la manifestation et a dit n’avoir eu aucun lien avec les participants aux blocages de Coutts, en Alberta, d’Emerson au Manitoba et du pont Ambassador à Windsor. Il a indiqué avoir distribué plus de 24 000 $ de dons aux camionneurs québécois qui n’avaient pas accès aux fonds amassés pour le « convoi de la liberté ».

Le leader des Farfadaas a affirmé qu’il n’était pas au centre-ville d’Ottawa après le recours à la Loi sur les mesures d’urgence, mais qu’il a tout de même eu des difficultés avec sa banque. M. Charland, qui n’avait jamais eu de casier judiciaire, a également été arrêté pour sa participation au « convoi de la liberté ». Il fait face à des accusations de méfaits et d’incitation aux méfaits.

« J’ai passé 23 jours en prison et si je suis sorti c’est parce que j’ai accepté des conditions lourdes qui m’enlèvent mes droits fondamentaux », a-t-il déploré. Il est notamment privé de s’exprimer sur les réseaux sociaux.

Il a affirmé que tout ce que les gens avaient « entendu dans les merdias, c’est de la merde », ce qui a suscité des rires et des applaudissements dans la salle d’audience. Le juge Paul Rouleau a alors lancé un avertissement.

M. Charland a terminé son témoignage à la Commission par une longue diatribe. « Je ne comprends pas à quel point on a dérapé à ce point dans notre pays », a-t-il lancé. Il s’est décrit comme « un citoyen du peuple » qui défend la constitution canadienne et les droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

La Commission sur l’état d’urgence doit déterminer si le recours historique à la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement fédéral était justifié pour mettre fin au « convoi de la liberté » et aux blocages de postes frontaliers ailleurs au pays.

Plus tôt dans la journée, Chris Barber l’un des organisateurs de la manifestation a indiqué qu’il n’y avait pas de coordination entre le convoi de camions à Ottawa et les autres blocages. Il a lui aussi reconnu qu’il n’avait pas le contrôle sur tous les camionneurs paralysaient le centre-ville d’Ottawa même s’il leur avait demandé d’être pacifiques. Il a tenté de prendre ses distances de Canada Unity, un groupe qui voulait renverser le gouvernement avec l’aide de la gouverneure générale et du président du Sénat.

Le Bloc québécois dénonce la « stratégie dangereuse » du gouvernement

Le député Rhéal Fortin a qualifié de « profondément irresponsable » la stratégie de communication au cabinet du ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, durant le « convoi de la liberté ». Son attaché de presse envisageait de lui demander de faire des entrevues sur « des éléments extrêmes » de la manifestation, quelques jours avant leur arrivée à Ottawa, a-t-on appris dans un échange de textos avec une proche conseillère du premier ministre Justin Trudeau déposé en preuve à la Commission sur l’état d’urgence. « Deux jours plus tard, le premier ministre insultait effectivement le convoi et la police a confirmé que cela a attisé la crise », a dénoncé M. Fortin lors de la période des questions. Le ministre Mendicino a répété le « convoi de la liberté » a eu des répercussions négatives et que le gouvernement allait participer à l’enquête publique par souci de transparence.