Les drogues contaminées et les médicaments contrefaits frappent des Québécois de tous les âges, de toutes les régions et de tous les milieux. Certains y survivent. D’autres y laissent leur peau.

Daniel Beauchamp aime dire qu’il y a deux façons d’apprendre dans la vie : la souffrance et la sagesse.

À 58 ans, il préfère maintenant la sagesse. « Parce que quand tu es obligé de souffrir pour apprendre quelque chose, ça peut prendre du temps en tabarnak », lance-t-il.

L’homme nous reçoit au CIPTO, le Centre d’intervention et de prévention en toxicomanie de l’Outaouais, à Gatineau. Ici, celui que tout le monde appelle « Dan » joue le rôle de « pair aidant » – une façon de dire qu’il est à la fois bénéficiaire des services et accompagnateur auprès des autres consommateurs de drogues.

Une plume d’outarde à la main (il explique qu’elle symbolise la famille), Dan raconte sa vie. On pourrait l’écouter pendant des heures tellement elle est tumultueuse et fascinante.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

La plume d’outarde que tient Daniel Beauchamp symbolise la famille.

Ce natif de Buckingham, en Outaouais, a dirigé une ferme, piloté une entreprise de construction de maisons, élevé deux enfants.

Il a déjà pagayé de North Bay, en Ontario, jusqu’à Rigaud, au Québec, seul dans un canot.

Il a passé deux ans et demi auprès d’un chef spirituel algonquin afin de devenir gardien de feu sacré.

Et il a vécu – et vit toujours – avec les drogues.

Dan a 12 ans quand il plonge dans les drogues dures, sous l’influence de son frère aîné et de ses amis.

« Ils avaient tous quatre ans de plus que moi. Je voulais faire ma place avec eux », explique-t-il.

Il consomme sans que cela affecte son travail. Dan grandit dans une ferme et en loue bientôt une pour l’exploiter. Il a aussi son entreprise de construction de maisons.

À 21 ans, il se marie et cesse d’un coup toute consommation. Il devient père d’un garçon, puis d’une fille.

« J’ai été 14 ans sans rien consommer – même pas un joint », dit-il avec fierté.

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Le jour, Daniel enseigne la réduction des méfaits aux autres consommateurs, notamment les jeunes qu’il aime accueillir et guider.

Quand rechute rime avec chute

Un jour, sur un chantier, Dan tombe et se blesse au dos.

« Pour moi, la valeur d’un homme, c’était l’ouvrage qu’il pouvait pousser dans une journée. Là, je ne valais plus rien », dit-il.

Il sombre.

« J’ai dit à ma femme : amène les deux enfants parce que je ne veux pas qu’ils voient ça. Je me remets à consommer et ça va être laid. »

On lui prescrit de la morphine contre la douleur. Dan s’injecte en plus de la cocaïne et arrose le tout d’alcool. En trame de fond, l’album Pigeon d’argile, de Kevin Parent, joue en boucle.

Me voilà seul dans une vieille et grande maison. Tout ce qu’il chantait, je le vivais. Kevin Parent m’a sauvé la vie et il ne le sait pas.

Daniel Beauchamp

Au bout de plusieurs années, le régime le laisse exténué. Il contracte le VIH d’une aiguille souillée, doit laisser le contrôle de son entreprise de construction à son frère. « Ça finit que tu es dans le divan, tu ne peux plus bouger et tu as de la misère à te faire à manger », raconte-t-il.

De nombreuses thérapies l’aident à s’affranchir de ses dépendances à la morphine et à l’alcool. La cocaïne quitte aussi sa vie, avant d’y revenir il y a deux ans.

« Pour l’instant, j’accepte que ce soit comme ça. Si je ne l’accepte pas, je me bats avec », philosophe-t-il.

Le jour, Dan enseigne la réduction des méfaits aux autres consommateurs, notamment les jeunes qu’il aime accueillir et guider.

Je fais ce que je peux pour aider le monde pendant la journée. Le soir, j’arrive chez nous, j’achète mes affaires et je me shoote.

Daniel Beauchamp

Dan sait mieux que personne qu’il joue à un jeu dangereux. Il dit avoir perdu au moins 25 amis à cause des surdoses ou du VIH. Et il voit bien que la qualité des drogues est de plus en plus variable.

« Ça n’a pas d’allure, ça monte et ça descend tout le temps, observe-t-il. Ils jouent beaucoup avec les drogues maintenant, c’est vraiment pire que quand j’étais jeune. »

Pour réduire les risques, il analyse sa cocaïne avec des bandelettes pour détecter la présence de fentanyl. Et il commence toujours par prendre une très petite dose afin d’en vérifier les effets.

Ce sont ces conseils – et bien d’autres – qu’il transmet aux consommateurs. Celui qui dit avoir du sang algonquin et iroquois distille en prime une sagesse qui lui vient autant du savoir autochtone que des nombreux ateliers de croissance personnelle et thérapies qu’il a suivis.

« Descendre l’ego et augmenter l’humilité, nous lance-t-il avant de nous quitter. En 25 ans de cheminement, c’est ça que j’ai compris. Si tu te concentres là-dessus, tu vas arriver à ce que tu veux. »