La mort de Fritznel Richard – cet homme d’origine haïtienne dont le corps a été retrouvé près de la frontière canado-américaine début janvier – aurait pu être évitée, ont dénoncé dimanche quelques dizaines de personnes rassemblées à sa mémoire.

Entre émotion et revendications, quelques dizaines de personnes, notamment des membres de la communauté haïtienne, se sont réunies à Montréal dimanche pour souligner la mort de Fritznel Richard, retrouvé sans vie le 4 janvier dernier. Cet homme originaire d’Haïti tentait de rejoindre sa femme et son enfant, préalablement retournés aux États-Unis, après environ un an passé au Québec.

Le rassemblement, organisé par Solidarité sans frontières et le collectif Soignons la justice sociale, s’est déroulé au complexe Guy-Favreau, au centre-ville de Montréal.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Le rassemblement, organisé par Solidarité sans frontières et le collectif Soignons la justice sociale, s’est déroulé au complexe Guy-Favreau, au centre-ville de Montréal.

Sous un soleil déclinant, les organisateurs se sont adressés à la petite foule, dénonçant le manque de considération des autorités canadiennes envers les personnes sans-papiers. Une photo et des bougies étaient distribuées aux participants.

« Il est venu chercher la vie, et il l’a perdue », a déploré Jennie-Laure Sully, en tenant une chandelle. Très impliquée dans la communauté haïtienne, Mme Sully a voulu montrer sa solidarité en participant à cette veillée. « Cette histoire-là, elle nous a bouleversés dans la communauté, confie-t-elle, la voix vacillante. C’est important d’être là pour dire que ça aurait pu être évité. »

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Quelques dizaines de personnes étaient rassemblées à sa mémoire.

Fritznel Richard, 44 ans, avait tenté de franchir la frontière en direction des États-Unis, le 23 décembre dernier. La Montérégie, comme le reste du Québec, était alors frappée par une tempête hivernale. « S’il passait par la forêt, c’était pour ne pas attirer l’attention de la police », avait par la suite affirmé sa femme, Guenda Filius, à La Presse.

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Fritznel Richard

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Son corps a été retrouvé le 4 janvier dernier, et les autorités policières ont confirmé qu’il était mort d’hypothermie.

Manque d’espoir et délais administratifs

« C’était un désespoir causé par les délais administratifs, il n’avait plus d’espoir. Il ne pouvait pas non plus travailler en raison des délais de permis de travail. Tout ceci, en plus du stress et de la séparation avec sa femme, l’a convaincu de retourner avec sa famille », raconte en entrevue avec La Presse Canadienne Hady Anne, porte-parole de Solidarité sans frontières.

Selon les données d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), plus de 23 000 personnes sont entrées au Canada par le désormais célèbre chemin Roxham entre janvier et août 2022.

Le Canada doit écouter les organisations qui travaillent sur le terrain. En écoutant les cris du cœur des migrants, on peut éviter des situations pareilles. Si on autorisait les gens à venir au poste-frontière pour faire leur demande d’asile, on n’en serait pas là.

Hady Anne, porte-parole de Solidarité sans frontières

Les délais de traitement des demandes d’immigration sont désormais très longs, soutient aussi Hady Anne. « Comment peut-on vivre à Montréal avec 600 $ par mois ? Les gens veulent travailler, et les permis de travail prennent de six à neuf mois, parfois même un an avant d’être octroyés », atteste-t-il.

Le porte-parole affirme qu’en novembre dernier, Solidarité sans frontières a rencontré le ministre canadien de l’Immigration, Sean Fraser, pour lui « donner des solutions ».

« Depuis, c’est silence radio. On attend encore un retour », ajoute M. Anne.

Une veillée en chanson

La difficulté à se trouver un emploi a poussé M. Richard à retourner aux États-Unis, malgré le danger, a aussi confirmé Richardson Charles Alida, une connaissance de Fritznel Richard, rencontré au rassemblement dimanche. « Il cherchait du travail, il voulait travailler, mais c’était si difficile », se souvient M. Alida.

Les deux hommes se sont connus en faisant des courses dans un dépanneur du quartier Saint-Michel, explique M. Alida. « En tant que père de famille, il voulait subvenir aux besoins des siens, et de lui-même, ajoute-t-il. Quand j’ai appris [ce qui s’est passé], ça m’a beaucoup ému, j’étais triste. »

Pendant la veillée, M. Alida – qui est lui-même arrivé au Canada des États-Unis par un poste frontalier – a chanté en créole le chant folklorique haïtien Mucho Woulo, à la mémoire de son ami. « Ça parle d’exil, de misère des Haïtiens qui quittent le pays pour chercher du boulot », a-t-il décrit par la suite.

« C’est une chanson qui parle de solidarité, d’entraide, de fraternité », renchérit Mme Sully.

À son sens, le Canada, comme d’autres pays riches, doit reconnaître sa responsabilité et ses engagements internationaux, par rapport à cette tragédie. « Les gens en veulent aux migrants, dénonce-t-elle, mais c’est comme de blâmer les victimes. Il faut traiter les gens avec dignité et humanité. Ça aurait pu ne jamais se passer. »

Avec La Presse Canadienne