Ils sont francophones et prêts à travailler, mais ont été amenés contre leur gré en Ontario : des demandeurs d’asile originaires d’Haïti comptent revenir à leurs frais à Montréal au risque de précariser encore plus leur situation.

Guerlin* jure qu’il a pourtant bien dit aux agents des services frontaliers qui l’ont accueilli au chemin Roxham, le 11 février dernier, qu’il souhaitait se rendre à Montréal avec sa femme enceinte de six mois.

Sarah* et ses deux jeunes enfants sont dans la même situation. La mère de famille dit avoir inscrit dans ses documents en entrant au Canada qu’elle souhaitait se rendre à Montréal, où elle espérait obtenir l’aide de l’importante communauté haïtienne qui s’y trouve.

Mais les deux familles, parties de l’Amérique centrale, ont été amenées, comme une quarantaine d’autres demandeurs d’asile, à Niagara Falls le 14 février dernier. Pourtant, ils ne parlent pas un mot d’anglais.

Leur but : retourner à Montréal au plus tôt. « C’était mon idée avant même d’arriver au Canada », lance Guerlin. Or, tout laisse croire qu’ils devront utiliser le peu d’argent fourni par l’aide sociale du gouvernement ontarien afin de se payer un billet d’autobus.

Déjà, l’homme dit avoir dû dépenser une partie des 45 $ avec lesquels il est arrivé au Canada pour se payer un taxi à Niagara Falls pour aller ouvrir un compte dans une banque, une des premières étapes pour tout demandeur d’asile arrivé au Canada.

Encore plus de précarité

Alors qu’ils auraient pu faire des démarches pour trouver un appartement à Montréal à partir d’un centre d’hébergement temporaire là-bas, tout laisse croire qu’ils arriveront dans la métropole québécoise de Niagara Falls sans avoir déjà trouvé un logement, s’inquiète le porte-parole du Comité d’action des personnes sans statut, Frantz André.

« Pour régler un enjeu politique, on crée encore plus de précarité », s’inquiète-t-il en soulignant le manque de coordination d’Ottawa.

La barrière de la langue crée également des difficultés supplémentaires pour ces personnes déjà dépourvues.

J’ai dû me rendre à l’hôpital avec ma femme, mais c’était très difficile de parler aux médecins, parce qu’ils ne parlent pas français.

Guerlin

Mardi dernier, la ministre de l’Immigration du Québec, Christine Fréchette, avait annoncé que la vaste majorité des 380 personnes entrées durant la fin de semaine par le chemin Roxham avaient été conduites en Ontario, à l’exception de huit personnes restées au Québec, fort probablement parce qu’elles y avaient de la famille.

Le transfert de demandeurs d’asile vers d’autres provinces était nécessaire, selon elle, la capacité d’accueil du Québec étant dépassée, a-t-elle dit.

« Le fédéral nous indique que depuis samedi, les demandeurs d’asile qui sont arrivés au Québec ont été redirigés vers d’autres provinces, à quelques exceptions près. On est vraiment très contents parce que ça montre qu’on peut avoir des résultats. […] Je n’ai pas les précisions quant à la logistique de la chose. On espère que ça va se maintenir dans le temps et que ça va être la nouvelle approche de gestion de la frontière », avait alors déclaré Mme Fréchette.

Plus de 5500 transferts

Cette nouvelle décision du fédéral ne constitue toutefois pas une nouvelle directive, mais découle plutôt du fait que toutes les places disponibles à Montréal seraient actuellement remplies.

Ainsi, les demandeurs d’asile arrivés par le chemin Roxham se voient offrir deux options : une chambre d’hôtel temporairement en Ontario ou un transport vers Montréal où ils ne pourront pas bénéficier de l’aide du gouvernement fédéral.

Le transfert de demandeurs d’asile vers l’Ontario n’est pas nouveau. Depuis le 30 juin dernier, au moins 5557 de ceux entrés par le chemin Roxham ont été envoyés dans la province voisine, soit 702 à Ottawa, 618 à Windsor, 2841 à Niagara Falls et 1396 à Cornwall en date du 13 février, a indiqué Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), vendredi.

Ce qui est nouveau, c’est qu’une grande proportion des demandeurs d’asile sont transférés vers l’Ontario. Depuis l’annonce de la ministre Fréchette mardi, 248 autres l’ont été, soit 93 % des personnes entrées par le chemin Roxham depuis le 14 février.

« Considérant le volume élevé actuel de demandes d’asile, IRCC tâche d’aider les provinces et les municipalités à offrir un hébergement temporaire aux personnes qui arrivent. IRCC s’est efforcé d’obtenir de l’hébergement temporaire là où la capacité le permet », explique une porte-parole du ministère, par courriel.

Il n’a pas été possible de savoir combien de ces personnes parlent français. Informé de la situation, le cabinet de la ministre Fréchette a indiqué qu’il préférait ne pas commenter la nouvelle.

* Noms fictifs. La Presse a accepté d’accorder l’anonymat aux demandeurs d’asile afin de ne pas nuire à leur cheminement au Canada.