Le projet de loi du gouvernement Legault visant à encadrer les droits des femmes porteuses et des enfants suscite des critiques. Des groupes dénoncent par exemple le fait qu’il n’ait pas été précédé d’un débat sur la grossesse pour autrui ou qu’il ouvre la voie à une industrie liée à cette pratique, peut-on lire dans des mémoires déposés à l’Assemblée nationale dans la foulée des consultations.

Un débat à faire d’abord

La loi que s’apprête à promulguer Québec tient pour acquis que la grossesse pour autrui est « inéluctable », alors que de nombreuses organisations dans le monde sonnent l’alarme et que des pays interdisent cette pratique, a fait valoir en commission parlementaire le groupe Pour les droits des femmes du Québec.

Le mémoire, rédigé par Claire Aubin, Athena Davis, Alexandra Houle et Michèle Sirois, invite le Québec à résister « au commerce mondialisé des mères porteuses ». « La grossesse pour autrui est présentée comme un progrès pour certains, alors que tous les risques sont pris par les femmes, pourvoyeuses d’ovules et mères porteuses, et que tous les bénéfices vont à l’industrie et aux clients qui commandent les enfants. Quant aux enfants, ils subissent le désir des adultes sans avoir de voix ni de protecteurs », est-il écrit.

Au Canada, le recours aux femmes porteuses est légal, à condition qu’elles ne reçoivent pas de rémunération et que seules leurs dépenses soient remboursées. Dans certaines provinces canadiennes (dont l’Ontario), les conventions entre les parents d’intention et les mères porteuses sont reconnues par la loi et l’acte de naissance peut porter le nom des parents d’intention d’emblée. Par son projet de loi, le Québec entend à son tour reconnaître les conventions entre les parties.

Le groupe Pour les droits des femmes du Québec avance que de nombreux pays interdisent la grossesse pour autrui ou l’encadrent de façon beaucoup plus serrée que le Canada.

De fait, la France, la Suisse, l’Allemagne et l’Espagne comptent parmi les pays qui l’interdisent.

En Espagne, a rapporté cette semaine l’Agence France-Presse, le bébé d’une actrice et vedette de télévision espagnole de 68 ans né à Miami d’une femme porteuse a soulevé l’ire du gouvernement, qui considère la gestation pour autrui comme une forme de violence contre les femmes.

Une filiation dès l’accouchement réclamée par un groupe LGBTQ+

Pour sa part, la Coalition des familles LGBTQ+ se réjouit dans son mémoire que le Québec préconise « une procédure administrative relativement facile » afin que les parents d’intention soient légalement reconnus, « sans l’obligation d’aller devant les tribunaux ».

Cet organisme trouve aussi judicieux que le gouvernement du Québec « accorde le congé de maternité à la gestatrice si elle réside au Québec ».

Par contre, il recommande « qu’après la naissance, la filiation des parents d’intention soit accordée automatiquement, sans donner une période de grâce de 30 jours à la personne porteuse », comme le prévoit le projet de loi.

Quant à lui, le Conseil du statut de la femme a salué dans son mémoire plusieurs dispositions du projet de loi québécois qui sont en phase avec les recommandations qu’il avait déjà faites, notamment celle exigeant qu’une femme porteuse ait nécessairement plus de 21 ans.

L’organisme gouvernemental s’inquiète néanmoins que le projet de loi « passe sous silence » les cas où une femme du Québec accepte de porter un enfant en vue de le remettre à des parents d’intention domiciliés hors Québec, ce qui est significatif à son avis dans la mesure où des travaux de recherche font état de « l’attractivité du Canada pour les parents d’intention étrangers ».

Le Conseil du statut de la femme est aussi préoccupé du fait que « certaines femmes porteuses interrogées dans des enquêtes empiriques considèrent avoir été insuffisamment informées des risques associés aux traitements de fécondation in vitro […] ».

« Une seule partie assume les risques »

Pour sa part, l’Association des avocats et avocates en droit familial du Québec s’inquiète du fait que « la convention de grossesse pour autrui fait porter les risques inhérents à une seule personne, la mère porteuse ».

Cette association évoque les risques de mortalité périnatale, de dépression post-partum et le fait que selon certains chercheurs, « les grossesses issues de la procréation assistée comportent plus de risque » que les autres.

Le mémoire des avocats en droit familial évoque par ailleurs la Déclaration de Casablanca, signée le 3 mars par 100 experts de 75 nationalités, qui plaide pour l’abolition de la gestation pour autrui « dans toutes ses modalités et sous toutes ses formes, qu’elle soit rémunérée ou non ».

L’Association des avocats et avocates en droit familial fait néanmoins l’analyse complète en 92 pages du projet de loi sur la table, en y allant d’une série de suggestions.

Quant au Barreau du Québec, il voit dans le projet de loi plusieurs avancées. Il souhaite cependant que des avis juridiques indépendants soient obligatoires à la fois pour les parents d’intention et pour la femme qui porte l’enfant.

Une « industrie » de la grossesse pour autrui redoutée

Le groupe Déclaration internationale des femmes – section du Québec s’inquiète pour sa part du fait que le gouvernement s’apprête à retirer le frein qui, pour l’instant, met le Québec à l’abri de ce qu’il qualifie d’« industrie » de la grossesse pour autrui.

Dans son mémoire signé par Ghislaine Gendron et Clémence Trilling, le groupe réclame que l’article de loi voulant que toute convention « par laquelle une femme s’engage à procréer ou à porter un enfant pour le compte d’autrui est nulle de nullité absolue » soit maintenu. (C’est en raison de cet article que les couples, québécois et d’ailleurs, préfèrent actuellement aller dans d’autres États où les conventions légales sont admises.)

Le groupe Déclaration internationale des femmes souligne que les ovocytes utilisés au Canada proviennent souvent des États-Unis, « un pays qui autorise une pratique commerciale, contrairement au Canada ».

Notons qu’aucune femme porteuse n’a déposé de mémoire lors des auditions publiques du projet de loi.

Consultez les mémoires déposés lors des « Consultations particulières et auditions publiques sur le projet n° 12 »