Le gouvernement du Québec n’a proposé aucune mesure concrète pour reloger une quinzaine de sans-abri qui campent sous l’autoroute Ville-Marie, au centre-ville de Montréal, comme il s’était engagé à le faire il y a deux semaines devant le tribunal, a déploré l’avocat des campeurs, lundi, au palais de justice de Montréal.

« Il semble y avoir une volonté en théorie, mais aucune proposition ou solution n’a été mise de l’avant » par le CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, mandaté par le ministère des Transports (MTQ), a révélé Me Éric Préfontaine, qui représente les campeurs dans leurs démarches devant les tribunaux pour éviter leur expulsion du terrain qu’ils occupent depuis plusieurs années.

L’absence de démarches entreprises par les intervenants du CIUSSS pour proposer de l’aide à ces sans-abri a d’ailleurs provoqué l’étonnement de la juge Chantal Masse, de la Cour supérieure.

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L’avocat de la Clinique juridique itinérante, Me Donald Tremblay

L’avocate du Procureur général du Québec, MNancy Brûlé, a souligné les propos d’une intervenante du CIUSSS, qui a indiqué dans une déclaration sous serment qu’elle ne pouvait agir que pour les gens qui demandent de l’aide volontairement. « Dans la mesure où ces gens ne viennent pas à elle, elle n’intervient pas », a-t-elle expliqué.

Être proactif

« Je suis bouche bée », a réagi la juge Masse. « Avec toutes les difficultés qu’elles ont, ces personnes ne vont pas nécessairement aller chercher de l’aide. Ça veut dire que l’intervenante est assise dans son bureau et qu’elle attend ? Il faut avoir une attitude plus proactive. Il faut aller les chercher. Oui, ça prend leur collaboration, mais il y a des organismes avec qui vous devriez vous entendre pour trouver des solutions. »

Parmi la quinzaine de campeurs, plusieurs ont des problèmes de santé physique et mentale, d’autres ont des dépendances aux drogues ou à l’alcool. Certains sont en couple ou ont des animaux, ce qui les empêche d’avoir accès aux refuges d’urgence pour sans-abri.

Dans leurs déclarations, présentées au tribunal, les employés du CIUSSS indiquent qu’ils n’ont pas rencontré les campeurs, malgré l’engagement pris par le gouvernement de travailler pour trouver à ces derniers des logements répondant à leurs besoins.

Pire : depuis que le campement s’est déplacé plus en retrait de la rue Atwater, sous l’autoroute Ville-Marie, le personnel du CIUSSS ne s’y rend plus, par mesure de sécurité pour les employés.

Les campeurs, représentés par la Clinique juridique itinérante, contestent en Cour supérieure leur éviction, annoncée par le MTQ, qui doit effectuer des travaux à l’endroit où ils sont installés. Un premier avis d’éviction leur avait été signifié en novembre dernier, mais le gouvernement a reculé à la dernière minute pour leur laisser le temps de trouver un endroit où se reloger. Puis, début mars, on leur a annoncé qu’ils devaient partir avant le 31 mars, date du début des travaux.

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L’un des campeurs de l’autoroute Ville-Marie, Michel Chabot, qui se fait traiter pour un cancer.

Leur demande d’injonction réclame un délai allant jusqu’au 15 juillet pour qu’ils aient le temps de trouver un nouvel endroit où se loger. MNancy Brûlé a indiqué lundi qu’en raison des procédures judiciaires, les travaux ne commenceraient pas avant le 12 ou le 15 avril, mais que leur report au-delà de cette date entraînerait d’importantes conséquences sur l’échéancier. La juge Masse a suggéré que l’on repousse à la mi-mai le début des travaux.

Plan de 2,6 millions

Pour reloger à long terme le groupe de campeurs, l’organisme Résilience Montréal, dont le refuge de jour, situé non loin du campement, offre des repas chauds et d’autres services, a proposé un plan d’action de 2,6 millions sur cinq ans. Ce plan inclut les salaires d’intervenants pour les accompagner, leur installation immédiate à l’hôtel, le temps de trouver des logements permanents qui leur conviennent, et tous les autres frais liés à leur emménagement et à leur quotidien. Cette demande a été refusée par les représentants du gouvernement.

L’avocat des sans-abri a fait valoir que repousser en juillet leur éviction leur donnerait le temps de trouver une solution pour se reloger ou, au pire, de planter leur tente ailleurs, quand la température sera plus clémente.

« Actuellement, où peuvent-ils aller ? Où peuvent-ils se relocaliser de manière minimalement décente ? », a demandé MPréfontaine. « Actuellement, ils sont au froid, mais au moins, ils sont à l’abri des intempéries. C’est la grosse misère ! Ils n’ont rien, ces gens-là, à part une tente et une autoroute au-dessus de leur tête ! Ce que le MTQ veut faire, c’est les priver du peu qu’ils ont sans leur offrir le minimum pour pouvoir se reloger ailleurs. »

« Leur éviction aurait potentiellement un impact sur la santé, la sécurité et la dignité des résidants du campement. »

La juge Chantal Masse a aussi mis de l’avant le fait que, pour faire évincer les campeurs de son terrain par la police, le MTQ devrait d’abord obtenir une ordonnance d’expulsion du tribunal, ce qui n’a pas été fait jusqu’à maintenant. « Je suis étonnée qu’on se permette de ne pas suivre les processus prévus par la loi, a-t-elle dit. Peut-être que c’est en raison de la clientèle dont il s’agit ? »

Les plaidoiries des avocates du Procureur général se poursuivent mardi matin, après quoi la juge devra rendre sa décision.