(Ottawa) Si les dernières années ont été marquées par une hausse des menaces envers le premier ministre Justin Trudeau, le phénomène n’est pas nouveau, alors que de nouveaux documents obtenus par La Presse Canadienne révèlent que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) s’inquiétait pour la sécurité de son père, Pierre Elliott Trudeau, lorsque l’ancien premier ministre a quitté le pouvoir.

Pierre Elliott Trudeau a dirigé le gouvernement canadien de 1968 à 1984, à l’exception d’une courte période en 1979-1980.

Alors qu’il s’apprêtait à quitter le pouvoir, les services de sécurité n’avaient reçu aucune menace contre lui, mais ils craignaient que son bilan n’incite certaines personnes à s’en prendre à lui.

La GRC avait alors recommandé d’accroître la sécurité autour de M. Trudeau.

« Il est juste de dire que le passage de M. Trudeau au poste de premier ministre a été souvent marqué par la controverse », peut-on lire dans un rapport étiqueté « secret » datant du 25 avril 1984.

« Sa personnalité perçue comme distante, son style politique provocateur et ses positions sur de nombreux sujets nationaux et internationaux ont suscité de fortes réactions émotives de Canadiens venant de tous les horizons politiques », ajoutait-on.

« Le premier ministre a fait adopter des lois, mis en place des politiques gouvernementales et s’est exprimé sur de nombreux sujets. Il a exacerbé, aigri et irrité de nombreuses catégories de la population canadienne. »

La Constitution de 1982, l’ancien Programme énergétique national, le bilinguisme et la décision de permettre au gouvernement américain de mener des essais de missiles de croisière en territoire canadien sont tous des sujets qui étaient susceptibles d’attiser la grogne de certaines personnes, selon les documents.

Le mouvement indépendantiste au Québec et l’utilisation par M. Trudeau de la Loi sur les mesures de guerre, en 1970, sont aussi mentionnés dans les documents.

Protection perpétuelle

L’évaluation de 1984, qui a d’abord été communiquée à un demandeur en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, puis obtenue par La Presse Canadienne, souligne qu’il est normal que le bilan d’un premier ministre soit jugé, mais que « la réaction du public aux positions de M. Trudeau sur plusieurs questions […] va du rejet pur et simple à l’approbation inconditionnelle ».

Pour Steve Hewitt, qui est professeur de l’Université de Birmingham, ces documents symbolisaient l’arrivée d’une nouvelle ère de sécurité au Canada, celle où les anciens premiers ministres devaient – et doivent toujours – être protégés même après leur passage en politique.

C’est donc pourquoi un an avant même que M. Trudeau n’annonce son intention de quitter ses fonctions, l’ancien directeur de sa force de sécurité a rédigé une lettre transmise au commissaire de la GRC de l’époque pour demander que le premier ministre profite d’un déploiement de sécurité après son départ.

« Il s’agirait d’une première, car les premiers ministres avant lui n’ont jamais bénéficié d’une sécurité personnelle rapprochée après avoir quitté leurs fonctions », peut-on lire dans la lettre.

Finalement, le commissaire de la GRC à l’époque, Robert Simmonds, a recommandé au plus haut fonctionnaire du Canada que, bien que la police n’ait pas eu connaissance d’une menace directe contre M. Trudeau, « un niveau raisonnable de sécurité devrait être maintenu pendant un certain temps ».

« Il y a ceux qui le féliciteront pour tout ce qu’il a fait et, malheureusement, ceux qui le blâmeront pour presque tout ce qui n’a pas évolué à leur goût », a mentionnait M. Simmonds dans sa recommandation.

Dans sa lettre, M. Simmonds précisait que son plan prévoyait que M. Trudeau et ses enfants bénéficient de surveillance de sécurité 24 heures par jour à leur résidence de Montréal et d’escortes pour « tous leurs déplacements ».

L’évaluation, préparée deux ans plus tard, a conclu que « la plus grande menace pour la sécurité future du premier ministre proviendrait probablement d’un individu souffrant de troubles mentaux », tandis que les risques associés aux « groupes d’extrême gauche et d’extrême droite » étaient minimes.

Cependant, en février 1985, le service de sécurité de M. Trudeau à Montréal a déterminé que lui et ses enfants n’avaient plus besoin d’une garde rapprochée en permanence.

Époque différente

Trente ans après le départ de son père, Justin Trudeau devenait à son tour premier ministre, dans une époque où les réseaux sociaux sont omniprésents dans la vie quotidienne.

De l’avis de plusieurs experts, leur apparition n’a fait qu’amplifier la colère à l’encontre des politiciens, dont le premier ministre.

Le gouvernement Trudeau a d’ailleurs constaté leur rôle important pendant la pandémie, lorsque des manifestants ont commencé à suivre l’autobus de campagne des libéraux en 2021.

La colère de certains groupes a atteint son paroxysme en janvier 2022, alors que des milliers de manifestants sont descendus dans les rues autour de la Colline du Parlement, à Ottawa, pour dénoncer les mesures sanitaires pendant la pandémie.

L’historien et auteur Robert Bothwell a d’ailleurs vu des similitudes dans la façon dont les deux Trudeau sont devenus la cible de la colère – et parfois de la haine – de certains citoyens.

Mais le père et le fils ont « des personnalités très différentes », rappelle-t-il.

« Pierre n’aurait jamais supporté le convoi de la liberté », selon lui.