Des maisons de transition en région éloignée sont à un cheveu de manquer de personnel pour assurer tous leurs quarts de travail. En Gaspésie, la pénurie de main-d’œuvre a récemment eu raison de la seule institution de la péninsule.

Tant pour la réinsertion sociale des ex-détenus que pour la sécurité du public, ce n’est pas une bonne nouvelle, avertissent plusieurs directeurs de maisons de transition en entrevue avec La Presse.

Le 31 mars dernier, la maison de transition L’Arc-en-Soi de Maria, en Gaspésie, a définitivement mis la clé sous la porte, après un an de recherches intensives pour pourvoir des postes clés. La péninsule gaspésienne a ainsi perdu le seul service du genre de son territoire.

Les maisons de transition – aussi appelées centres résidentiels communautaires (CRC) – sont des lieux offrant de l’hébergement, du soutien et de la surveillance à des contrevenants en démarche de libération graduelle. Un processus qui favorise leur réinsertion sociale et aide à prévenir les récidives, selon l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ).

Au Québec, ces organismes suivent dans la communauté un peu plus de 1000 personnes en libération, indique David Henry, criminologue et directeur général de l’ASRSQ.

C’est très rare, une maison de transition qui ferme, et là, c’est la seule en Gaspésie. C’est un drame.

David Henry, criminologue et directeur général de l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec

Le ministère de la Sécurité publique (MSP) a appris avec « un immense regret » la fermeture de L’Arc-en-Soi, a indiqué par courriel Louise Quintin, relationniste pour le MSP.

Des centaines de kilomètres

Les maisons de transition les plus près se trouvent désormais à Rimouski et à Rivière-du-Loup, dans le Bas-Saint-Laurent. Pour y accéder, les ex-détenus gaspésiens devront s’éloigner de leurs familles et attendre avant de trouver un emploi ou un logement dans leur communauté, déplore Lorraine Michaud, directrice générale de L’Arc-en-Soi.

« Quelqu’un qui vient en maison de transition, qui travaille sur lui, qui se trouve un emploi, un logement, quand il va retourner dans son milieu, dans la communauté, c’est pas mal plus sécuritaire que quelqu’un qui sort directement de détention et qui n’a pas eu de zone tampon », affirme-t-elle.

PHOTO FOURNIE PAR ANDRÉ OUELLET

Depuis son passage en détention et à la maison de transition de L’Arc-en-Soi, André Ouellet a arrêté de consommer et s’est trouvé un emploi stable.

« Ce qui m’attriste le plus là-dedans, c’est que moins de personnes vont avoir la possibilité [comme moi] d’aller s’améliorer comme personne, à Maria, et de sortir la tête de l’eau », a confié André Ouellet, un résidant d’Amqui qui est passé par les services de L’Arc-en-Soi au moment de sa fermeture.

« J’étais à un mois d’un bris de service »

L’Arc-en-Soi n’est pas le seul organisme à avoir des pépins liés à la main-d’œuvre. « L’année passée, j’étais prête à dire : là, on ferme, on se consolide, on embauche, on forme, et après ça on rouvrira », raconte Chantal Lessard, directrice générale du CRC d’Amos, en Abitibi-Témiscamingue. « J’ai appelé les Services correctionnels pour dire que si je n’embauchais pas, j’étais à un mois d’un bris de service. »

L’organisme a réussi à éviter la fermeture, mais peine à maintenir la tête hors de l’eau.

J’ai une directrice générale adjointe qui, à mi-temps, ne fait que ça : le recrutement, les entrevues, la supervision des stages, la rétention. Il y a trois ans, ça n’existait pas.

Chantal Lessard, directrice générale du centre résidentiel communautaire d’Amos

Pour compliquer leur tâche, les maisons de transition doivent opérer 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour assurer la sécurité des détenus et du public.

« À minuit, si ton intervenant ne peut pas rentrer, et que tu n’as pas de backup, c’est difficile », renchérit André Bonneau, du CRC de Roberval, au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Cette maison de transition n’a plus personne sur sa liste de rappel. « Demain matin, une personne tombe en maladie, se blesse, ça ne va plus, ajoute M. Bonneau. Je n’ai pas vu ça souvent en 36 ans. »

Trouver, former, retenir

Par le passé, les maisons de transition attiraient les nouveaux diplômés du cégep ou de l’université qui, par la suite, pouvaient migrer vers les services correctionnels, expliquent les directeurs.

Désormais, les services correctionnels peinent eux-mêmes à embaucher. Résultat : un roulement d’environ 50 % du personnel dans les maisons de transition, indique David Henry.

« On se retrouve avec la moitié des intervenants en maison de transition qui ont peu d’expérience pour travailler avec des résidants », alerte-t-il.

En parallèle, les expériences des ex-détenus sont de plus en plus complexes, ajoute M. Henry. « Les résidants sortent de détention avec des problématiques plus aiguës qu’avant – de consommation, de santé mentale, de délinquance sexuelle, etc. Est-ce que c’est qu’il y a moins de prise en charge qu’avant ? Est-ce que les substances consommées entraînent plus de problèmes ? Je n’ai pas de réponse. »

En Abitibi-Témiscamingue, cette combinaison inquiète. « Je ne peux pas me permettre de mettre une [employée moins expérimentée] seule sur le plancher avec 15 gars, donc je dois doubler, illustre Mme Lessard. Le milieu communautaire a la réputation de toujours s’adapter, mais à un moment donné, on va arriver au bout de notre corde. »

Dans une version précédente de ce texte, nous indiquions que 5000 contrevenants sont suivis en libération par des maisons de transition au Québec. Ce sont plutôt 1000 contrevenants. Nous avons aussi indiqué que la maison de transition la plus près de la Gaspésie se trouve désormais à Rivière-du-Loup. Il en existe aussi une à Rimouski. Nos excuses.

En savoir plus
  • 360 $
    Coût moyen quotidien par personne incarcérée dans un établissement de détention du Québec en 2021-2022
    110 $
    Somme par jour accordée pour chaque contrevenant hébergé dans les maisons de transition du Québec
    SOURCE : Ministère de la Sécurité publique