Une nouvelle campagne de sensibilisation en sécurité routière de la Sûreté du Québec (SQ) suscite la controverse. L’opération, qui doit durer une semaine dans toute la province, place le fardeau uniquement sur les piétons et les cyclistes, occultant toute responsabilité des conducteurs, déplorent plusieurs organismes.

« L’usager vulnérable, comme le piéton, est tenu d’adopter des comportements favorisant sa sécurité », résume la campagne « Opération nationale concertée Partage de la route », qui se tient au 28 avril au 4 mai.

« En 2021, un peu plus de 2000 piétons ont été victimes de collisions sur le réseau routier. Il est primordial que ces usagers, qui sont vulnérables, fassent également preuve de prudence en adoptant des comportements simples », écrit notamment la SQ, en fournissant huit conseils de prévention aux piétons, quatre aux cyclistes, mais aucun aux automobilistes.

« On n’en revient pas. C’est vraiment choquant. C’est comme si on baissait les bras et qu’on se disait qu’au fond, les automobilistes, on n’arrivera pas à les changer », lance Magali Bebronne, directrice des programmes à Vélo Québec.

L’organisme, qui avait été impliqué dans certaines discussions entourant la campagne, dit avoir claqué la porte de celle-ci en voyant « l’orientation » que la Sûreté du Québec avait décidé de prendre.

« Contraire au principe de prudence »

« Faire une campagne sur le partage de la route en demandant aux usagers vulnérables de redoubler d’efforts pour assurer leur propre sécurité, sans donner aucun conseil aux conducteurs, ça va à l’encontre de tout ce qu’on devrait faire pour [responsabiliser les] usagers de la route », dit Mme Bebronne.

À Piétons Québec, la directrice générale Sandrine Cabana-Degani abonde en ce sens. « Le message qui ressort de cette campagne, c’est que c’est uniquement aux cyclistes et aux piétons que revient le fardeau d’assurer leur propre sécurité. C’est contraire au principe de prudence introduit au Code de la sécurité routière en 2018 », martèle-t-elle.

On devrait surtout mettre des énergies à faire comprendre aux conducteurs de véhicules lourds qu’ils ont une responsabilité accrue à l’égard de la sécurité des plus vulnérables.

Sandrine Cabana-Degani, directrice générale de Piétons Québec

L’organisme Équiterre déplore aussi la direction qu’a prise la SQ dans sa campagne. « Bravo pour votre communiqué sur le partage de la route qui consiste essentiellement à dire que les piétons et les cyclistes sont des dangers pour les automobilistes. Faites-moi signe quand vous déciderez d’arriver au XXIe siècle », a ironisé jeudi son directeur des relations gouvernementales, Marc-André Viau, sur Twitter.

À la SQ, on se défend de prendre quelque parti que ce soit. « Tous les usagers doivent aussi faire preuve de prudence, mais ça implique aussi les plus vulnérables. Ce n’est pas négatif. On dit simplement à tout le monde d’être prudent. Il faut le voir de façon positive », plaide la lieutenante Ann Mathieu à ce sujet.

« Le message, au fond, c’est que chacun peut faire sa part dans le but de favoriser sa sécurité et celle des autres », insiste Mme Mathieu. Elle rappelle au passage que « d’autres communications » sont fréquemment envoyées pour « viser particulièrement les automobilistes » en matière de prévention. « Ça inclut la distraction, les comportements imprudents au volant, l’alcool, la drogue et j’en passe. »

Québec solidaire, de son côté, appelle la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, à « s’assurer qu’une campagne sur le partage de la route encourage la marche et le vélo ». « J’espère qu’elle va réajuster le tir et qu’elle nous proposera une approche qui sensibilise et responsabilise les conducteurs lorsqu’elle nous présentera son plan d’action en sécurité routière », affirme le critique en transports, Étienne Grandmont.

État des lieux

Ce n’est pas la première fois qu’une campagne du genre suscite le malaise. L’été dernier, de petits panneaux du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) avaient été installés à 42 intersections accidentogènes à Montréal, afin d’inviter les piétons à « regarder de chaque côté » et à faire « attention aux véhicules qui effectuent des virages ». Des résidants avaient alors jugé l’initiative « infantilisante ».

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

À l'été 2022, de petits panneaux à l'attention des piétons avaient été installés à 42 intersections accidentogènes à Montréal.

Dans une étude publiée en 2016, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) indique que la principale cause des accidents de piétons est la distraction des conducteurs. La distraction est en cause dans 64 % des collisions entre un véhicule et une personne à pied. Dans 68 % de ces cas, c’est le conducteur qui a manqué d’attention, contre 15 % pour le piéton (la responsabilité est partagée dans 17 % des cas).

Selon l’étude, la vitesse des véhicules est un facteur déterminant dans la gravité des collisions. Les piétons ont 10 % de probabilités de mourir s’ils sont heurtés à 30 km/h, contre 75 % à 50 km/h. La SAAQ notait aussi que la quasi-totalité des accidents concernant des piétons (95 %) survient dans des zones de 50 km/h ou moins.

Liste des comportements à adopter recommandés aux usagers de la route dans le cadre de la campagne

Conseils aux piétons

  • Traverser à l’intersection ou au passage pour piétons le plus près
  • Respecter les feux pour piétons
  • Marcher sur le trottoir ou, s’il n’y en a pas, au bord de la chaussée, face à la circulation
  • Vérifier la circulation avant de traverser (à gauche, à droite, de nouveau à gauche et à l’arrière)
  • Établir un contact visuel avec les conducteurs, sinon présumer qu’ils ne les ont pas vus
  • Éviter les objets de distraction (écouteurs, cellulaire, texto, etc.) lorsqu’ils marchent et surtout en traversant une intersection
  • Être visible en tout temps (vêtements voyants, bandes réfléchissantes, etc.)
  • Être vigilant en présence de véhicules lourds

Conseils aux cyclistes

  • Être prévisible et signaler ses intentions
  • Être visible
  • Porter un casque
  • Respecter la signalisation et les priorités de passage

Conseils aux conducteurs

Aucun

En savoir plus
  • 10 %
    Hausse des accidents impliquant des piétons enregistrée par le SPVM en 2022. Pas moins de 20 d’entre eux ont perdu la vie, contre 11 l’année précédente. Le nombre de piétons blessés gravement a aussi augmenté rapidement, passant de 40 à 66.
    Source : SPVM