Même si le reçu fiscal était libellé à une adresse à Hong Kong, le don fait à la Fondation Pierre Elliott Trudeau par des milliardaires chinois n’était pas une contribution étrangère. Il ne s’inscrivait pas non plus dans un stratagème d’ingérence orchestré par Pékin, a soutenu mardi l’ancien dirigeant de l’organisation, Morris Rosenberg.

La version des faits livrée devant un comité de la Chambre des communes par celui qui a été président et chef de la direction de l’organisme de 2014 à 2018 différait de celle, fournie quelques jours auparavant, par sa successeure, Pascale Fournier.

« Les reçus fiscaux ont été délivrés à Aigle d’or du millénaire international, puisqu’il s’agissait de l’entité qui a fait le don. Une recherche montre qu’il s’agit d’une compagnie canadienne dont le siège social est situé à Dorval, au Québec. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un don étranger », a-t-il lancé d’entrée de jeu.

Toutefois, sur les reçus fiscaux émis par la Fondation et signés de la main de Morris Rosenberg, dont La Presse a copie, l’adresse de l’entreprise donatrice est bel et bien située à Hong Kong.

Les membres du comité parlementaire avaient ces reçus en main et ont questionné M. Rosenberg à plusieurs reprises sur ce point précis.

L’entreprise Aigle d’or du millénaire est détenue par Zhang Bin, un milliardaire chinois qui est également président de la China Cultural Industry Association (CCIA). L’organisation est « approuvée par le Conseil d’État de Pékin » et « supervisée par le ministère de la Culture » chinois, selon son site web. Bref, elle relève directement de l’État chinois.

Si, dans le rapport annuel 2016-2017 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, on l’identifie comme donateur, tout comme Niu Gensheng, un homme d’affaires et philanthrope chinois qui a aussi contribué, c’était pour leur signifier une reconnaissance personnalisée, a argué Morris Rosenberg.

« Rien de malveillant »

À la table du même comité de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique, vendredi dernier, la dirigeante démissionnaire de la Fondation, Pascale Fournier, avait toutefois fait valoir que cela équivalait à « induire les Canadiens en erreur ».

D’autant plus que « cette association demandait aux employés de la Fondation d’inscrire des informations sur leurs reçus fiscaux et disait : “S’il vous plaît, n’inscrivez pas les noms des donateurs. S’il vous plaît, mettez une adresse en Chine” », a-t-elle relaté.

Le témoin Rosenberg n’a rien vu de « malveillant » à ces requêtes « administratives », aussi les consignes ont-elles été suivies par la Fondation.

C’est comme si je faisais un don, que je prenais ma retraite dans le sud de la France et que je demandais qu’on envoie des reçus à cette adresse.

Morris Rosenberg, ancien dirigeant de la Fondation Pierre Elliott Trudeau

« La présomption voulant qu’on tentait de dissimuler la véritable identité du donateur […] justifie, selon moi, la nécessité d’une enquête indépendante », s’est aussi défendu l’ancien sous-ministre aux Affaires étrangères, qui a été malmené par les députés conservateurs, y compris Michael Cooper.

« Soit vous êtes totalement incompétent, soit vous avez fait de l’aveuglement volontaire », lui a balancé l’élu.

C’est qu’il lui est apparu invraisemblable que Morris Rosenberg nie qu’il ait pu y avoir tentative d’ingérence de la part de Pékin. « Si le SCRS (Service canadien du renseignement de sécurité) a eu des inquiétudes à propos des donateurs, à aucun moment ne m’en a-t-on parlé », avait auparavant déclaré le témoin.

Les travaux se poursuivent

Le comité poursuit ses travaux sur l’ingérence chinoise mercredi avec la comparution d’Alexandre Trudeau, le frère du premier ministre, qui a signé au nom de la Fondation le contrat officialisant le don promis de 200 000 $, dont seulement 140 000 $ ont été reçus avant d’être remboursés de peine et de misère.

Si c’est le fils cadet de Pierre Elliott Trudeau qui a paraphé le contrat, c’était pour la portée symbolique de sa signature, selon ce qu’a indiqué Morris Rosenberg aux membres du comité des Communes.

Pourtant, la politique d’acceptation des dons, dont La Presse a obtenu copie, stipule que c’est le président qui doit personnellement accepter les dons de moins de 1 million de dollars. Selon nos informations, aucune résolution n’a été adoptée par le conseil d’administration pour autoriser M. Trudeau à accepter le don. De plus, la même politique stipule que le président doit faire les vérifications qui s’imposent sur les donateurs avant d’accepter un don.

M. Rosenberg est depuis 2016 membre du conseil d’administration de l’Université de Montréal, une institution qui a aussi bénéficié d’un don émanant des deux mêmes donateurs chinois.

L’histoire jusqu’ici

  • 2014 : Début des négociations entre l’Université de Montréal et le milliardaire chinois Zhang Bin entourant un don à l’établissement. La Fondation Pierre Elliott Trudeau manifeste son intérêt de recevoir elle aussi une contribution.
  • 2016 : Versement, à la Fondation Trudeau, d’une première tranche de 70 000 $ d’un don total promis de 200 000 $. Le deuxième chèque de 70 000 $ viendra en 2017 ; les 60 000 $ restants n’ont finalement jamais été versés.
  • Avril 2023 : Le don chinois fait éclater la Fondation Trudeau. La présidente et cheffe de la direction, Pascale Fournier, remet sa démission avec huit autres membres du conseil d’administration, mentors et fellows.
  • Avril 2023 : La Fondation Trudeau rembourse les 140 000 $ à l’entreprise Aigle d’or du millénaire, propriété du milliardaire Zhang Bin.