Le quatuor de policiers entre dans le cégep et tombe sur une scène d’horreur : des blessés partout, du sang, des hurlements, des détonations. En montant l’escalier intérieur, les agents sont presque bousculés par des élèves paniqués qui fuient un tireur actif. Tout est faux, mais la simulation est tellement réaliste qu’on y croit. La tension est palpable.

La Presse a pu assister de l’intérieur à un gigantesque entraînement organisé par la police de Laval le 25 mai. Une occasion de répéter la réponse à une potentielle tuerie dans un établissement public et certaines nouvelles tactiques d’intervention.

Le rendez-vous a été donné vers 20 h, au collège Montmorency, alors que la plupart des élèves et enseignants avaient quitté les lieux. Un groupe de 45 finissants en techniques policières du collège Ahuntsic étaient sur place pour jouer les victimes, avec maquillage et prothèses simulant diverses blessures.

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Des consignes sont données aux étudiants en techniques policières du collège Ahuntsic – agissant à titre de figurants – avant la simulation.

« Le but là-dedans, c’est de sauver des vies. Aujourd’hui encore, on a eu un appel pour une école. Heureusement, ce n’était pas fondé. Mais le jour où ce sera réel, on veut que Laval soit le mieux préparé possible », explique le lieutenant Dany Ménard, du Groupe tactique d’intervention, aux participants avant l’exercice.

Le lieutenant Dany Ménard suggère aux patrouilleurs qui seront dépêchés à l’intérieur du cégep de faire un petit jogging avant d’entrer, question d’augmenter leur rythme cardiaque pour simuler l’état dans lequel ils se trouveront s’ils interviennent lors d’un vrai évènement du genre.

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L’inspecteur Normand Clavet lors du breffage avec les policiers

« Une situation comme ça apporte beaucoup de fébrilité et un niveau de stress élevé », prévient l’inspecteur Normand Clavet. L’officier sait de quoi il parle. Avant de passer à la police de Laval, il était à la police de Montréal, à l’époque des drames du collège Dawson en 2006 (19 blessés et 2 morts, dont le tireur) et de l’Université Concordia en 1992 (4 morts et 1 blessé).

Pas le temps d’attendre

Aujourd’hui, le scénario de la simulation ressemble à ces tueries qui font trop souvent la manchette : un homme entre dans le cégep et ouvre le feu sur plusieurs victimes en se déplaçant dans l’édifice. Les patrouilleurs dépêchés sur les lieux avec des armes chargées à blanc doivent neutraliser la menace en minimisant les pertes au maximum.

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La simulation a eu lieu au collège Montmorency, à Laval.

Les services de police ont changé leur approche de ce genre d’évènement au fil des décennies. Lors de la tuerie de Polytechnique en 1989 (14 blessés et 15 morts, dont le tireur), les policiers avaient établi un périmètre de sécurité autour de l’établissement et attendu l’arrivée du SWAT. De longues minutes au cours desquelles le suspect avait poursuivi son carnage. Aujourd’hui, les politiques sont claires : pas question d’attendre. Les premiers policiers arrivés doivent foncer vers la menace.

Lorsqu’ils arrivent au cégep, les deux groupes de quatre patrouilleurs qui participent à la simulation pénètrent par deux entrées différentes et progressent en formation serrée au milieu des blessés. L’un des agents porte une arme longue pour plus de puissance de feu. Un membre du groupe couvre en permanence l’arrière, pour éviter d’être pris à revers.

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La tension est palpable alors que les policiers se déplacent dans les corridors.

Des coups de feu résonnent à travers les couloirs. Soudain, l’un des formateurs qui supervisent l’entraînement décide de faire monter la pression. « Go ! Go ! Go ! Il y a du monde qui meurt en ce moment ! », hurle-t-il aux oreilles des patrouilleurs. Ils pressent le pas.

Inondés d’appels

Pendant ce temps, des répartiteurs de la centrale 911 de Laval qui participent eux aussi à l’exercice sont inondés d’appels. Des élèves qui jouent les victimes ont reçu des cartons avec des scénarios qu’ils doivent réciter au préposé qui prend leur appel.

Y a-t-il un ou deux tireurs sur place ? Le chandail du suspect est-il orange ou jaune ? Comme dans la vraie vie, les perceptions varient selon les appelants, et les répartiteurs doivent garder la tête froide pour guider en direct le travail des policiers sur le terrain.

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Un membre du groupe de policiers couvre en permanence l’arrière, pour éviter d’être pris à revers.

« C’est important pour le répartiteur de prendre le contrôle de l’appel, de se montrer solide et de démontrer qu’il est là pour aider. Le citoyen qui appelle est en panique. Il ne sait pas quoi dire. On ne peut pas juste le laisser parler, parce que le flot d’appels est inimaginable et il faut être en mesure de répondre à tout le monde », explique Marja Massaad, coordinatrice aux opérations pour le 911 de Laval.

En prenant le contrôle, on est en mesure d’aller chercher l’information nécessaire, de conseiller la personne et de raccrocher.

Marja Massaad, coordinatrice aux opérations pour le 911 de Laval

Tout à coup, un appel sort du lot : c’est le suspect lui-même qui a composé le 911. La répartitrice qui lui répond reste calme et s’efforce de le garder au bout du fil, même s’il se montre peu loquace.

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Le personnel de la centrale 911 participe aussi à l’exercice.

Les policiers se positionnent à la porte de la salle de classe où il s’est retranché. Des agents essaient d’établir un contact avec lui. « Sors les mains en l’air, ça va bien aller », crient-ils. Ils tentent de savoir s’il a des otages avec lui. Le suspect nie, mais un doute persiste.

On lance un appel pour faire venir un bouclier, un expert négociateur et le Groupe tactique d’intervention. Sur les ondes radio, un superviseur prévient toutefois les patrouilleurs : il est possible que des civils soient dans la classe avec le tireur. Peut-être qu’ils n’auront donc pas le temps d’attendre les renforts.

« Si vous entendez des coups de feu, ça va être un go. Intervention immédiate », leur dit-on.

Nouvelles méthodes pour soigner

En parallèle, des techniciens ambulanciers paramédicaux du Groupe d’intervention médicale tactique d’Urgences-santé (GIMT), vêtus de gilets pare-balles et de casques, entrent dans le cégep. L’un se positionne près de la classe où s’est retranché le tireur, prêt à intervenir. La présence de cette équipe dans la « zone chaude » alors que le tireur tient toujours la police en haleine est une innovation récente dans les tactiques des services d’urgence de plusieurs grandes villes.

C’est très nouveau. Ça se fait aux États-Unis. On commence à mettre des policiers avec un ambulancier pour faire un premier tri, un premier garrot, évaluer nos blessés, constater si des gens sont morts.

Normand Clavet, inspecteur au Service de police de Laval

« Ce sont de nouvelles méthodes. On va laisser entrer quelques équipes de policiers et ensuite le GIMT va se greffer à l’arrière. On ne veut pas qu’ils se retrouvent à courir après la menace. Ils vont toujours se déplacer sous la protection des policiers et se référer à eux pour les déplacements tactiques », ajoute Jonathan Bilodeau, commandant des équipes spécialisées pour Urgences-santé.

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« Dans un monde idéal, on ferait une formation comme ça une fois par année », dit l’inspecteur Normand Clavet.

La simulation prend une autre tournure lorsque des coups de feu retentissent dans le local où s’est retranché le suspect. Les policiers foncent, et découvrent que l’homme armé garde une jeune femme en otage. Ils ont le temps de faire feu et d’atteindre le suspect, qui s’écroule au sol. « On vient de tirer le suspect », lancent-ils sur les ondes tout en le menottant.

À l’entrée de la classe, le technicien paramédical s’élance pour venir en aide au blessé. « Êtes-vous prêts pour que je rentre, les boys ? », crie-t-il en mettant la main sur sa trousse de premiers soins.

Il est près de minuit lorsque le scénario prend fin. Déjà, les organisateurs prennent des notes pour le prochain entraînement.

« C’est très complexe de coordonner tous les partenaires, mais dans un monde idéal, on ferait une formation comme ça une fois par année. On pourrait même l’emmener à un autre niveau, en incluant nos gens des enquêtes », illustre l’inspecteur Normand Clavet.

« C’est comme n’importe quelle discipline. Plus on pratique et plus on va être capable de réagir avec rapidité en suivant la bonne approche », conclut-il.