Jacques Lamarre, l’ancien PDG de SNC-Lavalin et l’un des personnages les plus importants de l’histoire du génie-conseil au Québec, devra se défendre devant le conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs en lien avec des chefs d’infractions liées aux scandales de corruption qui ont éclaboussé sa firme il y a une dizaine d’années.

L’Ordre des ingénieurs du Québec a confirmé la nouvelle, d’abord rapportée par le Globe and Mail tard lundi soir. La plainte a été signifiée à M. Lamarre le 15 juin et une date d’audience devant le conseil de discipline sera fixée sous peu.

« En vertu du droit professionnel, l’Ordre ne peut commenter davantage à ce stade-ci », affirme l’organisme qui règlemente la profession d’ingénieur. Jacques Lamarre est membre en bonne et due forme de l’Ordre depuis 1969.

Un plaignant en prison

Selon nos informations, la plainte déposée par le syndic de l’Ordre découle d’un signalement reçu de Sami Bebawi, un ancien vice-président directeur de SNC-Lavalin qui disait détenir des informations accablantes contre son ancien supérieur. M. Bebawi a été condamné à huit ans de pénitencier en 2020 pour sa participation à ce que le juge Guy Cournoyer avait qualifié de « modèle corporatif d’affaires déviant fondé sur une corruption débridée ». Il est présentement incarcéré au Québec dans le cadre de cette sentence.

La preuve exposée au jury a démontré que Sami Bebawi avait participé au versement de millions de dollars en pots-de-vin à Saadi Kadhafi, fils du dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Un yacht de 25 millions lui avait même été offert à même les fonds de SNC-Lavalin. Au passage, Sami Bebawi et un de ses proches auraient eux-mêmes reçu 26 millions de dollars en fonds détournés, au début des années 2000.

La victime de la fraude était l’État libyen, qui avait payé un prix gonflé pour des contrats publics réalisés par SNC-Lavalin.

En défense, les avocats de Sami Bebawi avaient plaidé que leur client était un bouc émissaire qui n’avait pas de vrai contrôle sur les opérations de l’entreprise en Libye. En décembre 2019, une division de SNC-Lavalin a plaidé coupable à une accusation de fraude en lien avec le même dossier et accepté de payer une amende de 280 millions de dollars.

« Criss, il le savait, il l’a approuvé ! »

Sami Bebawi a déjà déclaré à la police que Jacques Lamarre était au courant de l’achat d’un yacht pour Saadi Kadhafi avec l’argent de SNC-Lavalin. « Criss, il le savait, il l’a approuvé ! », a-t-il déjà déclaré à une enquêtrice de la GRC au palais de justice de Montréal.

Le principal témoin de la poursuite, l’ancien vice-président Riadh Ben Aissa, a lui aussi déclaré devant la cour que Jacques Lamarre avait approuvé le versement de pots-de-vin en Libye, ce que M. Lamarre a toujours nié. Il a répété à plus d’une reprise que s’il avait su comment se comportaient ses subalternes dans leurs relations avec le régime libyen, il les aurait congédiés.

M. Lamarre a déjà déclaré à La Presse qu’il était prêt à venir témoigner au procès pour rectifier les faits, mais qu’il n’a finalement jamais été appelé.

Selon plusieurs sources consultées par La Presse, la possibilité de déposer des accusations criminelles contre Jacques Lamarre a fait l’objet d’intenses discussions entre policiers et procureurs de la Couronne fédérale, mais la preuve a été jugée insuffisante pour aller de l’avant.

Nombreux honneurs

M. Lamarre n’était pas disponible pour répondre à nos questions mardi matin.

Âgé de 79 ans, M. Lamarre a été PDG de SNC-Lavalin de 1996 à 2009. Il avait auparavant participé à la construction de plusieurs ouvrages majeurs en tant que cadre. Le chiffre d’affaires de l’entreprise québécoise a explosé sous sa direction et elle a poursuivi son expansion à travers la planète.

M. Lamarre est commandeur de l’Ordre de Montréal et officier de l’Ordre du Canada. Il a reçu la médaille d’or d’Ingénieurs Canada en 2008 et a reçu le Prix de carrière du Conseil du patronat en 2010.