La sécurité ferroviaire s’améliore au pays, même s’il reste beaucoup à faire.

Près de 10 ans après la tragédie de Lac-Mégantic, en juillet 2013, la sécurité ferroviaire s’améliore au Québec et au pays, constate le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST), qui estime que 60 % des recommandations faites dans la foulée de la tragédie ont été suivies. Il reste toutefois beaucoup à faire, notamment pour limiter les déplacements imprévus des trains.

« On est vraiment encouragés par les changements apportés depuis 10 ans. Trois des cinq recommandations qu’on avait faites ont été adoptées, et pour le reste, on voit que l’industrie progresse chaque année », explique à La Presse le directeur des enquêtes ferroviaires du BST, Vincenzo De Angelis.

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Parmi les changements apportés depuis 10 ans, il y a le renforcement des normes de protection des wagons-citernes.

Des trains plus durables

Parmi les changements, le gestionnaire nomme d’emblée le renforcement des normes de protection des wagons-citernes, dont les anciens modèles DOT-111 sont graduellement remplacés par des modèles TC-117, jugés « plus performants » dans des conditions de déraillement. « Ils ont une coque en acier plus épaisse et une protection thermique pour mieux protéger les produits et, donc, des fuites lors de potentiels déraillements. Tout ça va être entièrement remplacé d’ici 2025. Ça réduira déjà de beaucoup les risques de défaillance lors d’un déraillement », estime M. De Angelis.

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Depuis quelques années, la vitesse des trains a été réduite.

Vitesses abaissées

Depuis quelques années, la vitesse des trains a été réduite à 35 milles à l’heure en région métropolitaine, soit environ 56 km/h. À l’extérieur de ces zones, la vitesse maximale de la plupart des trains est de 50 milles à l’heure, ou 80 km/h. Par le passé, ces chiffres avaient été plus élevés, mais avaient aussi été réduits davantage en février 2020 après le déraillement d’un train à Guernsey, en Saskatchewan. « C’est une bonne nouvelle quand on sait que la vitesse des trains durant un déraillement peut causer plus de fuites et de dommages matériaux, voire humains », soutient l’enquêteur. Il note au passage que des restrictions de vitesse supplémentaires « s’appliquent aussi pendant la période hivernale, en fonction de la température ambiante, surtout pour les trains clés à haut risque ».

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Les inspections des rails ont aussi été augmentées.

Inspections plus fréquentes

Côté surveillance, les inspections des rails ont aussi été augmentées, surtout l’hiver en raison des risques de bris liés à la glace. De 2013 à 2022, le nombre moyen annuel d’inspections est passé de 20 000 à 40 000. L’an dernier, on comptait au total 155 inspecteurs en sécurité ferroviaire, contre 107 en 2013, pendant que le nombre d’inspecteurs en transport de matières dangereuses a triplé en 10 ans pour atteindre 118. Une trentaine de nouveaux critères sont aussi dorénavant imposés aux entreprises ferroviaires afin de vérifier que leur trajet est sécuritaire sur les voies qu’elles empruntent. Les protocoles d’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures ont aussi été « raffinés ». « Ça peut avoir l’air banal, mais ce sont de gros changements », indique en ce sens Vincenzo De Angelis.

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Le nombre de « mouvements non contrôlés » augmente encore partout au pays, un problème particulièrement observé dans les gares de triage.

Encore des mouvements « non contrôlés »

Malgré tout, le nombre de « mouvements non contrôlés », soit des situations où l’équipement ferroviaire se déplace de manière imprévue, augmente encore partout au pays, regrette le BST. Il s’agit concrètement de la perte de la maîtrise du train par un membre de l’équipe, souvent causée par une immobilisation insuffisante du matériel roulant ou la non-utilisation des freins à air. « Ça, dans les gares de triage par exemple, c’est encore un gros problème. On aimerait voir des solutions physiques être adoptées dans l’industrie, comme des systèmes alternatifs de freinage », souffle le directeur. Pour lui, « ce qui est regardé dans l’industrie présentement, c’est beaucoup plus au niveau des procédures, des étapes de sécurisation ». « C’est bien, mais on pense qu’il faudrait surtout avoir des niveaux de sécurité supplémentaires. La solution est plus du côté physique, avec des changements concrets », juge-t-il.

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De 2010 à 2019, le nombre de mouvements non contrôlés affichait une nette tendance à la hausse, avec un sommet de 78 évènements distincts en 2019.

78 en un an seulement

Sur son site, le BST affirme d’ailleurs clairement que les mouvements non contrôlés, quoique peu fréquents, « peuvent avoir des conséquences catastrophiques, en particulier si des marchandises dangereuses sont en cause ». « Comme l’a démontré l’accident de Lac‑Mégantic, le coût en matière de vies humaines et de répercussions sur nos collectivités est incalculable », peut-on lire. De 2010 à 2019, selon les plus récentes données disponibles, le nombre de mouvements non contrôlés affichait une nette tendance à la hausse, avec un sommet de 78 évènements distincts en 2019.

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Le BST espère « créer une culture de sécurité » avec l’amélioration des systèmes de gestion de la sécurité que chaque entreprise ferroviaire possède en vertu de la loi.

Vers une « culture de sécurité »

À plus long terme, le BST ne cache pas qu’il espère « créer une culture de sécurité » avec l’amélioration des systèmes de gestion de la sécurité (SGS) que chaque entreprise ferroviaire possède en vertu de la loi. « Il faut que ces systèmes travaillent mieux pour éviter des accidents, tirer des leçons et faire des corrections quand il y a lieu. Ça doit faire jaillir des mesures pour éviter des accidents », soutient M. De Angelis. « C’est impossible de complètement éliminer les risques, mais si on a plusieurs couches de sécurité, on peut au moins les minimiser grandement », insiste-t-il.

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Récemment, Transports Canada a introduit le concept de « certificat d’exploitation », qui permet à une entreprise ferroviaire d’opérer, ou non, à l’échelle du pays.

Des certificats à obtenir

Récemment, Transports Canada a d’ailleurs introduit le concept de « certificat d’exploitation », qui permet à une entreprise ferroviaire d’opérer, ou non, à l’échelle du pays. Depuis, des audits sont réalisés sur une base régulière et si le Ministère juge que les processus internes de sécurité ne sont pas suffisants, le certificat est retiré jusqu’à ce que des changements soient apportés. Désormais, chaque acteur doit d’ailleurs souscrire un niveau d’assurance minimal en fonction du type et du volume de marchandises dangereuses qu’il transporte. Le montant varie de 25 millions à 1 milliard de dollars. « Ça n’existait pas avant Mégantic. Et la mesure vient avec des sanctions administratives qui permettent au gouvernement de pénaliser financièrement les entreprises. On parle d’amendes allant de 50 000 $ à 250 000 $. Bref, il y a encore du progrès à faire, mais on s’en va dans la bonne direction », conclut le gestionnaire.