(Montréal) Défiant les lois canadiennes sur les drogues, des magasins de « champignons magiques » ouvrent illégalement ici et là au pays, dont un à Montréal cette semaine.

Mais des experts estiment que ces vendeurs illégaux ne seront pas très utiles pour faire progresser radicalement l’acceptabilité des champignons hallucinogènes auprès des autorités et de la population.

La psilocybine, le composé psychédélique des champignons magiques, fait de plus en plus l’objet d’essais cliniques pour étudier ses effets thérapeutiques potentiels.

Mais une croissance rapide du commerce illégal pourrait ralentir les progrès de la médecine en retournant l’opinion publique contre ces substances, craint le docteur Andrew Bui-Nguyen, dont la clinique montréalaise propose à certains patients des traitements psychédéliques approuvés par le gouvernement fédéral.

« Tout le monde, je crois, est enthousiasmé par la renaissance des psychédéliques [en psychothérapie], mais je pense qu’il y a des moyens de le faire en collaboration avec les décideurs », a déclaré le docteur Bui-Nguyen, directeur médical de la clinique montréalaise Numinus, qui a reçu l’approbation de Santé Canada pour utiliser la psilocybine, dans des conditions strictes, pour traiter la dépression.

Montréal est le dernier foyer du débat sur la consommation de drogues psychédéliques. Mardi, le magasin FunGuyz, qui a pignon sur rue dans le quartier Sainte-Marie, a commencé à vendre des champignons magiques. En quelques heures, la police de Montréal a mené une perquisition et procédé à quatre arrestations. Une femme, Feila Alichina Idrissa, fait face à une accusation liée au trafic de drogues.

Le magasin était fermé et pratiquement vide, mercredi. Les illustrations de champignons bleus et roses qui tapissaient mardi les vitrines avaient disparu, laissant voir un intérieur désordonné avec seulement une poignée de bacs en plastique transparent jonchant le sol.

On ne sait pas à qui exactement appartient FunGuyz, qui vend de la psilocybine en ligne et compte dix emplacements en Ontario. Un homme prétendant être le porte-parole du magasin a donné deux orthographes différentes de son nom à La Presse Canadienne et il a refusé de présenter une pièce d’identité.

Il a déclaré que le magasin de Montréal avait ouvert ses portes pour protester contre la prohibition et pour accroître l’accès à la psilocybine au Canada.

D’autres détaillants illégaux de drogues psychédéliques ont aussi fait leur apparition au Manitoba.

Mais les hallucinogènes comme la psilocybine sont toujours soumis à des interdictions de vente et de possession au Canada, et ne peuvent être utilisés que dans des contextes cliniques très limités.

De rares exemptions

Par ailleurs, les essais cliniques avec ces médicaments ont été lents à se développer au Canada.

Jusqu’à présent, a expliqué le docteur Bui-Nguyen, Santé Canada n’a accordé des exemptions que pour le traitement de patients souffrant de détresse en fin de vie ou de dépression sévère – mais seulement si d’autres modes de traitement avaient échoué.

Il y a eu toutefois des progrès récents, notamment un investissement de 3 millions d’Ottawa en juin pour soutenir trois autres essais cliniques impliquant la psilocybine. Le docteur Bui-Nguyen s’attend à ce que le traitement psychédélique se développe davantage si ces essais cliniques montrent des résultats positifs.

On ne sait pas, par contre, si les drogues psychédéliques « à usage récréatif » seront un jour légales au Canada. Mais si des médicaments comme la psilocybine devenaient plus largement disponibles au pays, ce processus ne viendrait probablement pas de magasins illégaux, croit Daniel Weinstock, professeur de droit à l’Université McGill, qui étudie l’éthique des politiques publiques.

« Je pense que l’apparition ici et là de magasins illégaux de ce genre démontre plus en fait » l’échec de la prohibition « qu’une solution au problème », selon le philosophe.

M. Weinstock rappelle le long processus de décriminalisation du cannabis au Canada, où la légalisation de l’usage récréatif n’a fait que suivre une application médicale répandue et une acceptabilité sociale généralisée – deux éléments clés qui manquent encore aux drogues psychédéliques, selon lui.

« La route n’est pas aussi fluide » que les magasins illégaux pourraient le suggérer, dit-il.

Le docteur Bui-Nguyen plaide pour la décriminalisation des psychédéliques et l’accroissement de leur usage médical, mais il craint que des magasins illicites comme FunGuyz nuisent au processus d’acceptabilité au sein de la population et chez le législateur.

« Parfois, le simple fait d’agir aveuglément et sans réfléchir aux impacts possibles peut […] être contre-productif, dans une certaine mesure. »

Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.