Afin de pouvoir mettre en vente le chalet familial dans les Laurentides, Steven Grover doit prouver au gouvernement que son père, l’un des propriétaires, n’est plus de ce monde. Seul problème : le certificat de décès, délivré par Québec en anglais, est jugé irrecevable… parce qu’il est en anglais.

David Grover s’est éteint en 2009, à Westmount. Comme sa famille est anglophone, le gouvernement lui a fait parvenir son certificat dans la langue de Shakespeare. À l’époque, il n’y avait aucun problème à le faire.

Depuis, son fils Steven Grover a utilisé le certificat de décès en anglais pour régler différentes affaires, comme l’accès à l’assurance vie et la fermeture du compte de banque de son père. Tout s’est toujours bien déroulé.

Or, il doit maintenant utiliser ce document pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (dite loi 96). Et c’est précisément ce qui bloque ses démarches.

Ça devrait être une formalité : son père est mort depuis 14 ans, et il en a la preuve. Ses deux tantes, les sœurs de son père qui étaient aussi parmi les propriétaires du chalet, sont elles aussi disparues. C’est ce qui pousse Steven Grover à vouloir assurer la succession du chalet, pour ensuite le vendre.

Mais aux yeux du ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF), qui est impliqué dans le dossier, c’est invalide. Motif : le certificat de décès de David Grover aurait dû être en français.

Le 12 juin, le MRNF a donc envoyé un mémo de refus à Steven Grover, précisant que les documents envoyés « dans une autre langue que le français » doivent « être accompagnés d’une traduction vidimée », en vertu d’une modification apportée à l’article 3006 du Code civil du Québec par la loi 96. « Par conséquent, l’analyse de ces documents n’a pas été effectuée », peut-on lire dans ce document.

CAPTURE D’ÉCRAN

Mémo de refus transmis par le ministère des Ressources naturelles et des Forêts à Steven Grover

On propose à M. Grover de faire produire un nouveau certificat de décès, en français. Ça ne coûterait qu’une centaine de dollars, mais ce n’est pas une question d’argent, à ses yeux. C’est une question de principe.

« Ce n’est pas raisonnable, soutient Steven Grover, en entrevue. C’est un document officiel de l’État, rempli par l’État. Maintenant, on doit faire plus de travail pour une petite demande. C’est la première fois que je rencontre ce problème. »

Tourner en rond

Sur le certificat de décès, qui a été fourni à La Presse, on peut lire tout ce qu’il y a de plus habituel : les dates de la naissance et de la mort, le lieu, l’identité de la personne et l’endroit où est enterré le corps, par exemple. Le tout tient sur une seule page.

« J’ai demandé à mon notaire : “Est-ce que je peux juste prendre le gabarit et traduire les questions ?” Il m’a répondu “Non, ça ne fonctionnerait pas, tu dois avoir une traduction officielle du gouvernement.” »

Si vous regardez le document en français, c’est exactement pareil. Ça ne change rien. La différence, c’est juste les questions avant chaque réponse. Mais la mise en page est exactement pareille.

Steven Grover

Appelé à réagir, le ministère de la Langue française (MLF) indique avoir « comme objectif d’assurer l’avenir du français à titre de langue commune et renforcer son statut, et ce, dans un esprit de justice et d’ouverture », tout en spécifiant traverser une période d’adaptation.

« Le ministère de la Langue française est disponible pour accompagner les ministères et organismes afin d’assurer une transition harmonieuse, tout en conservant les plus hauts standards de qualité dans les services à la population et dans le respect de la communauté anglo-québécoise », fait-il valoir dans un courriel.

Le MLF assure d’ailleurs qu’un suivi est en cours, puisque « la Loi prévoit qu’un ministère ou un organisme peut accepter un document officiel rédigé en anglais qui émane du gouvernement du Québec dans un contexte contractuel ».

« Franchement, je suis encore perplexe, a écrit le notaire dans un courriel à la famille Grover. Néanmoins, nous devons garder à l’esprit qu’il s’agit d’une nouvelle loi et que son application est toujours en évolution et sujette à une interprétation bureaucratique en constante évolution. »

M. Grover n’a aucun problème avec le français. L’entrevue qu’il a accordée à La Presse s’est entièrement déroulée en français, et il doit l’utiliser pour le travail. Il est simplement exaspéré par la lourdeur de certains procédés bureaucratiques, comme celui auquel il fait face actuellement.

« Je ne suis pas un angry anglo, ricane-t-il. J’ai vécu à Los Angeles et à Boston, mais je suis retourné au Québec parce que je trouve ça très sympathique ici. Je trouve juste que c’est l’État qui tourne en cercle. Ils savent ce qui est écrit sur le certificat. »