Un dialogue (un brin) décalé sur un enjeu d’actualité.

Un grand requin blanc mesurant près de 9 pieds et pesant presque 400 livres a été repéré cette semaine au large de Percé. En ce début de vacances de la construction, où tant de Québécois prévoient fréquenter les plages de la Gaspésie, quelques mises au point s’imposent. Gros plan en cinq questions pointues.

Un requin comme dans le film Jaws ? On ne pourra plus se baigner dans la baie des Chaleurs ?

Vous auriez tort de vous en priver. « Les humains ne sont pas une proie, d’aucune façon. Il ne s’approche pas des plages », souligne le chercheur Émilien Pelletier, de l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER), en entrevue téléphonique.

PHOTO FOURNIE PAR ÉMILIEN PELLETIER

Émilien Pelletier, chercheur à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER)

Ce requin juvénile baptisé Jekyll est porteur d’une puce, grâce à laquelle l’organisme OCEARCH suit ses déplacements. « Il ne s’est approché ni de la baie de Gaspé ni de nulle part, note M. Pelletier. Il va peut-être entrer dans la baie des Chaleurs s’il trouve quelque chose, mais il va peut-être retourner tout simplement vers le sud du Golfe où les eaux sont plus chaudes. »

PHOTO ROBERT SNOW, FOURNIE PAR OCEARCH

Un grand requin blanc en train d’être micropucé par OCEARCH

La sale réputation faite aux grands requins blancs par le film Jaws (Les dents de la mer) n’est donc pas méritée. « Ç’a eu des conséquences terribles aux États-Unis, des gens se sont mis à chasser les requins, à les tuer », déplore M. Pelletier.

« Je le regrette sincèrement », avait d’ailleurs déclaré le réalisateur Steven Spielberg à la BBC l’an dernier.

Lisez le texte « Spielberg regrette que les requins aient été “décimés” après la sortie de Jaws »

Des requins blancs qui attaquent les gens, ça s’est quand même vu, non ?

Quelques attaques contre des êtres humains ont effectivement été rapportées le long de la côte américaine, reconnaît M. Pelletier.

« C’est ce que les biologistes appellent des attaques accidentelles. En fait, c’est une erreur de la part du requin. »

La principale proie du grand requin blanc est plutôt le phoque. Mais un plongeur vêtu d’une combinaison noire et chaussé de palmes, « vu d’en dessous, pour un requin, ça ressemble beaucoup à un phoque ».

Des attaques de planches à pagaie, dont la forme allongée, vue d’en dessous, peut aussi ressembler à d’autres proies, dont les dauphins, ont aussi été recensées, ajoute le chercheur.

Mais que fait ce grand machin blanc en Gaspésie ? Il s’est perdu ?

Pas du tout. Le grand requin blanc a été observé de la Floride jusqu’à la Nouvelle-Écosse.

« Ce n’est pas nouveau qu’il soit présent dans le golfe du Saint-Laurent, c’est connu depuis longtemps qu’il y remonte l’été », rappelle le chercheur de l’ISMER. « Ce sont des poissons qui n’aiment pas l’eau froide, donc ils remontent juste l’été, quand il y a de l’eau un peu plus chaude. »

C’est exactement ce qu’a fait Jekyll, porteur d’une puce depuis décembre dernier. « On voit qu’il est remonté dans le Golfe directement et ne dépasse pas une certaine zone, il ne va pas vers le nord. C’est un touriste, il cherche la chaleur ! », illustre M. Pelletier.

Découvrez le parcours de Jekyll en détail

Un requin touriste ? Il vient voir le rocher Percé ?

Les rochers aux phoques, plutôt. Le phoque, abondant dans le golfe du Saint-Laurent, est en effet la principale proie du grand requin blanc. « Parfois, il chasse relativement près des côtes, parce que les phoques ont tendance à se tenir sur les rochers », précise le chercheur de l’ISMER.

C’est sans doute pourquoi de jeunes requins blancs ont aussi été aperçus dans les dernières années au large de l’île Brion, près des îles de la Madeleine, où l’on retrouve « des milliers de phoques ».

Donc les affaires vont plutôt bien pour ce jeune requin ?

On le lui souhaite, car le grand requin blanc est considéré comme une espèce « en voie de disparition » par le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC).

L’activité humaine (prise accessoire des pêches commerciales et pêche récréative) est la plus grande cause de mortalité dans le monde, indique le COSEPAC dans son plus récent rapport. On a toutefois peu de données sur la présence de l’espèce dans nos eaux. Si l’on exclut les sujets suivis à l’aide d’un émetteur, moins de 100 mentions confirmées ou probables ont été recensées sur la côte atlantique du Canada depuis 1874.

Consultez le rapport du COSEPAC sur l'espèce