Le métro du Réseau express métropolitain (REM) n’a rien inventé en tombant en panne le lundi de sa mise en service. Plus d’un demi-siècle plus tôt, le lundi 17 octobre 1966, le nouveau métro de Montréal s’était arrêté net durant une trentaine de minutes, mettant des milliers de travailleurs en retard. L’impact sur la clientèle, par contre, reste à voir.

« Des milliers de travailleurs (et combien d’employeurs) ont fait ce matin des efforts sérieux pour conserver le sourire en tentant de s’expliquer par quel curieux anachronisme un système de transport “rapide” a pu les amener au travail un bon quinze minutes en retard. »

« Le bilan de la première journée est le suivant : panne d’électricité de 30 minutes ; des milliers de travailleurs en retard ; […] les autobus qui ne viennent pas aux embouchures du métro ; et le manque de véhicules. »

Déjà vu ? Tout à fait.

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Une de La Presse du 17 octobre 1966

Le premier paragraphe apparaît à la une de La Presse du 17 octobre 1966, en bas de vignette d’une photo montrant des passagers du métro à la mine résignée, pour ne pas dire renfrognée.

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L’article de La Presse relatant la panne du 17 octobre 1966

Le second paragraphe provient du défunt quotidien Montréal-Matin du 18 octobre 1966 relatant « la première vraie journée d’activité du métro » la veille.

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Une du Montréal-Matin du 18 octobre 1966

La panne a été causée par individu qui, ayant réussi à se faufiler dans une zone interdite, a coupé le courant entre les stations Berri et Place-d’Armes. Elle a duré 29 minutes, rapportent les journaux.

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L’article du Montréal-Matin relatant la panne du 17 octobre 1966

Une question de récurrence

« Vous voyez : je n’en avais jamais entendu parler ! On adore notre métro maintenant », commente Yani Grégoire, professeur au département de marketing de HEC Montréal et spécialiste des échecs de service.

Les deux pannes du REM lundi, la première à l’heure de pointe et la seconde autour de 23 h, ne sont pas passées inaperçues, mais « l’idée que la première impression va déterminer toute la relation n’est pas forcément vraie ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Usagers du REM patientant à la station Brossard en raison d’une panne, lundi

Quand un évènement négatif se produit, l’être humain se demande à quelle cause l’attribuer « et dépendamment des inférences qu’on va faire, ça va conditionner énormément nos comportements », explique-t-il.

« C’est sûr que si c’est récurrent sur cinq, six, sept mois, on va commencer à se poser des questions, on va peut-être inférer des motifs comme l’incompétence, la négligence, peut-être le côté avaricieux. »

Par contre, ce premier lundi, pour « une personne raisonnable, ça ne va pas forcément laisser de traces, dans la mesure où [les opérateurs du REM] vont être capables de solutionner le problème ». C’est cependant un « moment charnière ».

C’est vraiment une occasion pour le REM de montrer qu’ils ont leur clientèle à cœur en réglant le problème de façon adéquate. Ils peuvent donner des compensations, rendre le service non payant. La balle est dans leur camp.

Yani Grégoire, professeur au département de marketing de HEC Montréal

Même son de cloche chez Florence Junca-Adenot, professeure associée au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM et ex-PDG de l’Agence métropolitaine de transport.

« Ça m’étonnerait qu’une seule journée fasse l’orage : il faudrait que les nuages s’accumulent plus », illustre-t-elle.

« La CDPQ a eu raison de démarrer le service à la fin de juillet, où tout le monde est en vacances. Ça laisse tout le mois d’août pour faire les ajustements avant la grosse rentrée de septembre. »

Le REM a transporté 25 000 personnes lundi, a affirmé son exploitant mardi après-midi sur Twitter.

Donner la chance au coureur

Les clients actuels du REM sont « en très grande majorité les usagers des 350 autobus qui, avant la pandémie, allaient au centre-ville chaque matin », rappelle Mme Junca-Adenot.

« Quel choix ont-ils ? Venir en voiture ? Pour qu’un tel choix se fasse, il faudrait qu’il y ait beaucoup de grogne. »

Depuis lundi, les lignes d’autobus express du Réseau de transport de Longueuil (RTL) et d’exo qui se rendaient directement au centre-ville de Montréal rabattent les passagers sur une station du REM de la Rive-Sud.

L’effet d’une panne est pourtant « beaucoup moins intense sur la clientèle » quand il existe des trajets en parallèle, souligne Pierre-Léo Bourbonnais, associé de recherche à la Chaire Mobilité de Polytechnique Montréal.

Ici, on veut toujours aller au moins cher. On ne veut surtout pas que deux lignes desservent le même axe parce qu’on pense que ça gaspille.

Pierre-Léo Bourbonnais, associé de recherche à la Chaire Mobilité de Polytechnique Montréal

Lorsque le REM est en panne, « c’est le RTL ou la STM qui doivent pallier », mais il n’y a pas assez de chauffeurs et de véhicules en réserve, « ils vont aller chercher des bus qui sont en opération, ça va couper le service ailleurs », poursuit M. Bourbonnais.

Au départ de la gare Centrale mardi en fin de journée, les passagers étaient au rendez-vous. Même Zouhair Shafik, qui a perdu une demi-heure dans la panne lundi matin. Il a dû attendre trois navettes avant d’avoir une place. « Ils ont pris beaucoup de temps pour réagir », observe-t-il. « Déçu », il continuera néanmoins à utiliser le REM. « On n’a pas le choix, c’est le moyen qui reste, il n’y a pas autre chose. »

« On s’attend à ce qu’un gros projet comme celui-là ait des ratés », a commenté Louise Bourassa. Mais « c’est facile de le dire parce que je n’ai pas été affectée [lundi], je suis passée un peu avant ».

La contre-performance de la veille n’a pas non plus dissuadé Francine Poulin d’essayer le REM mardi. « On est Roger-Bon-Temps là-dedans, on va donner la chance à ce système-là parce qu’il faut participer : c’est écologique, c’est super important. »