(Radisson, Baie-James) À la veille de leur retour en Europe, où la saison des incendies de forêt débute, les pompiers français se disent enchantés de l’accueil qu’ils ont reçu au Québec où, « projetés » en zone nordique, à la Baie-James, ils combattent des incendies au-delà de leur imagination.
Mercredi, dans l’amphithéâtre des résidences d’Hydro-Québec à Radisson, leur uniforme bleu marine contraste avec le blouson rouge vif des pompiers québécois de la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU).
Tous sont attentifs au breffage mené par leurs collègues du Québec.
Leur vol de retour affrété pour le 8 août, la date exacte où ils lèveront le camp dépend du moyen de transport qu’ils pourront emprunter. En avion, pour un vol de quelques heures à peine, ou par la route, un voyage d’environ 18 heures à travers la taïga jusqu’à Québec où ils doivent embarquer.
Le lieutenant-colonel Édouard Gillet prend la parole. La situation reste tendue alors que la température menace de raviver les feux contenus ces derniers jours.
« Quand nous sommes partis de Marseille, je vous ai dit qu’on courait un marathon et on a passé le 33e kilomètre, celui où ça commence à faire mal. Mais on approche du 40e, où on commence à voir le public et la ligne d’arrivée qui se précise. »
Le commandant militaire tient à graver dans la mémoire de ses troupes l’ampleur de ce à quoi ils ont pris part, l’immensité des deux brasiers qu’ils combattent depuis leur arrivée.
« Trois cent mille hectares, je ne m’en suis toujours pas remis. Sans camion, sans eau, putain ! Pour moi c’est illusoire, c’est la troisième dimension », laisse-t-il tomber, déclenchant des rires dans l’assistance.
Lisez notre dossier « Bataille dans la taïga »Un baptême du feu
On peut en quelque sorte parler d’un baptême du feu pour les troupes du contrôleur général de ce troisième détachement de 124 sapeurs-pompiers, Emmanuel Clavaud, dont il s’agit du premier déplacement professionnel de ce côté-ci de l’Atlantique.
Pour leur premier déploiement au Québec, trois contingents de plus d’une centaine de pompiers français sont venus prêter main-forte, chacun pour une durée de trois semaines. L’un a d’abord combattu les flammes au complexe de Chibougamau-Chapais, au nord du Lac-Saint-Jean, puis un autre au camp minier de Windfall, à l’est de Lebel-sur-Quévillon, à la limite entre l’Abitibi-Témiscamingue et le Nord-du-Québec.
Puis cette troisième cohorte a été « projetée » en zone nordique, à Radisson, où elle est arrivée par la route le 24 juillet dernier de Québec afin de relever une équipe américaine de gestion des incendies majeurs débarquée quelques jours plus tôt.
« En France, c’est comme si on se posait à Marseille pour aller donner un coup de main à Lille », lâche, pince-sans-rire, Emmanuel Clavaud, au sujet de ces deux villes situées aux extrémités sud et nord de l’Hexagone.
Sous ses ordres, des pompiers civils – habitués aux incendies de bâtiment et dont le rôle est aussi celui d’ambulanciers – et des pompiers militaires formés aux techniques de combat contre les incendies de forêt.
Le contrôleur général pèse ses mots lorsqu’il décrit ce qu’il a vu de ce côté de l’Atlantique : « Aucun de nous n’avait jamais survolé des feux de la surface de ce qu’on voit ici. »
Des apprentissages
Vu l’évolution des brasiers, les pompiers français se sont concentrés sur la bordure nord des deux incendies qui menaçaient les installations à Radisson, les feux 601 et 602. La veille, des pilotes de drones ont mené une opération de repérage de « points chauds », ces flammes toujours actives sous la surface du lichen, grâce à des caméras thermiques.
Ensemble, ces deux brasiers représentent une superficie de plus de 350 000 hectares, l’équivalent de Long Island, dans l’État de New York. L’an dernier, en France, 72 000 hectares de forêt ont brûlé dans toute la saison.
« Mais on a appris à appréhender la particularité de ces feux », souligne le contrôleur général.
Les renforts ont dû apprivoiser cette nouvelle végétation, la « mousse de caribou », dont est tapissé le sol de la taïga et qui brûle très rapidement, et les changements de direction des vents.
En France, « toutes nos manœuvres sont conçues dans l’idée de pouvoir approcher du feu en engin-pompe [l’équivalent d’un camion de pompier au Québec], ce qui est totalement impossible ici », explique Emmanuel Clavaud.
D’autant qu’au nord du 52e parallèle, la SOPFEU a comme directive de ne pas attaquer directement les incendies, sauf pour protéger les villages et les infrastructures essentielles.
« Ç’a été un apprentissage : la lecture du feu au Canada qui se fait par anticipation », dresse comme bilan Emmanuel Clavaud. « Mais on comprend complètement la stratégie et les concepts. » Il louange la collaboration exceptionnelle entre ses pompiers et leurs collègues québécois.
Leur attention se tourne maintenant vers l’Europe où la saison des incendies de forêt a débuté sur les chapeaux de roues. Ils seront appelés à intervenir chez eux, mais aussi dans la couronne méditerranéenne, en Espagne, au Portugal, en Tunisie et en Grèce, où des incendies historiques ont donné lieu à des évacuations majeures.