Derrière la porte d’un logement en apparence banal de Montréal, une femme subit des coupures d’eau potable l’une après l’autre depuis le début du mois de juillet. Les pompiers sont intervenus, les policiers, les inspecteurs également, confirme la direction de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. Rien à faire. La locataire accuse son propriétaire de manœuvrer pour la forcer à partir.

C’est une dame aux mains tremblantes, marquée par une vie difficile, qui a accueilli La Presse, en compagnie d’un intervenant de l’organisme Entraide Logement, d’Hochelaga-Maisonneuve. Il s’agit d’un service d’information sur les droits et obligations en matière de logement.

Suzanne Lemieux raconte qu’elle croyait s’être libérée d’un « trou à coquerelles » quand elle s’est installée, en mars 2022, au 2016, rue Leclaire, dans Hochelaga-Maisonneuve. Mais un an plus tard, son cauchemar a recommencé quand elle a reçu un avis d’augmentation de 100 $ de son petit logement à 750 $ par mois. Pas chauffé ni éclairé. Son histoire illustre les tensions qui règnent entre propriétaires et locataires en cette époque de crise du logement.

La dame montre à La Presse des copies d’échanges électroniques attestant qu’elle a refusé l’augmentation. Elle dit avoir mentionné au propriétaire qu’à ce prix, elle allait partir.

J’ai toujours payé mon loyer. Au début, quand j’ai reçu l’avis d’augmentation, je m’étais résignée à déménager, mais pour aller où ? Je n’ai pas les moyens. J’ai vite changé d’idée. C’est mon droit de rester ici. Et c’est là que mes problèmes ont commencé.

Suzanne Lemieux

« Je n’ai pas eu d’eau durant une dizaine de jours. Il a fallu que je me lave comme un chien avec le tuyau d’arrosage du voisin. C’est devenu de l’intimidation. Je n’en dors plus, j’ai peur », raconte la dame en déroulant des documents appuyant son récit, notamment une copie des visites du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Dans sa cuisine, une montagne de vaisselle sale s’est accumulée dans l’évier. Seul un petit filet d’eau froide coule. Même chose dans la salle de bains. Et il n’y a pas d’eau chaude. Ce scénario a commencé le 8 juillet dernier.

Cas problématique, estime l’arrondissement

Le propriétaire, Alain Thériault, s’adressera à la fin d’août au Tribunal administratif du logement (TAL) pour faire expulser Mme Lemieux, qui « vie [sic] dans mon logement sans droit », écrit-il dans sa demande au TAL, qu’il a fait parvenir à La Presse. Début juin, il lui a envoyé une lettre signifiant qu’en vertu de son refus de l’augmentation et son non-renouvellement de bail, elle devait quitter son logement le 30 juin.

Selon le propriétaire, il s’agit de « manœuvres » de la part d’une femme s’accrochant à son logement. Il nie avoie coupé l’eau.

« C’est un fléau, les locataires qui refusent de quitter depuis qu’il y a pénurie de logements », a-t-il fait valoir lorsque joint par téléphone.

À l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, le directeur de cabinet, Laurent R. Beaulieu, confirme que des avis de non-conformités ont été remis au propriétaire en lien avec les coupures d’eau. Des inspecteurs sont passés à trois reprises, les 18, 26 et 28 juillet. C’est un cas problématique, atteste-t-il.

« La remise d’un constat d’infraction constitue la prochaine étape d’intervention si la situation [l’eau] n’est pas rétablie rapidement. Mentionnons que le propriétaire est difficilement joignable, même par huissier », a ajouté le porte-parole du maire Pierre Lessard-Blais.

Des droits à considérer

MJustine Sara est membre de l’équipe des services juridiques Juripop, organisme offrant des conseils et représentations devant le tribunal. Elle connaît bien ce genre de dossiers. D’entrée de jeu, l’avocate explique qu’il y aura beaucoup d’arguments à faire valoir de part et d’autre concernant « l’augmentation et la validité » du refus de la locataire de déménager.

« La réponse d’un locataire, par voie électronique, peut, dans certaines occasions très spécifiques, être considérée comme valable. La Cour devra se pencher sur la validité. Dans tous les cas, ajoute-t-elle, un propriétaire ne peut pas couper l’eau. Le locataire pourrait obtenir des compensations financières en dommages et intérêts. »

Avocat spécialisé en droit du logement et social, Ré Poulin Ladouceur a accepté de s’impliquer dans le dossier de Mme Lemieux. Sans être à même de pouvoir le commenter pour le moment, MPoulin Ladouceur rappelle qu’il existe trois principes en matière de logement face à une augmentation.

« Premièrement, le locataire peut accepter l’augmentation et décider de rester. Deux, il peut refuser l’augmentation et décider de rester. Et trois, il peut refuser l’augmentation et déménager. Ce sera au juge de trancher. Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a un droit fondamental au maintien des lieux inscrit dans la loi. Et que, de manière générale, le droit au Québec reconnaît qu’il y a une partie faible (le locataire) versus les propriétaires. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Suzanne Lemieux et l’intervenant auprès de l’organisme Entraide Logement Olivier Prud’homme-Richard

Olivier Prud’homme-Richard est intervenant auprès de l’organisme Entraide Logement. Selon lui, au-delà de la demande d’éviction, Mme Lemieux fait face à de l’intimidation parce qu’elle a décidé de refuser l’augmentation et de rester dans son logement.

« Il y a des lois pour garantir l’accès à de l’eau potable, dit-il. On a devant nous une situation complètement inacceptable. On va l’appuyer dans ses démarches pour conserver son logement. »

L’intervenant explique qu’avant la pandémie, il y avait surchauffe à Montréal avec un taux d’inoccupation très bas des logements. « Sauf que là, franchement, le feu est pris. »

Annie Lapalme, intervenante pour Entraide logement Hochelaga-Maisonneuve et le Comité BAILS, s’occupe particulièrement des dossiers d’éviction dans le quartier. Elle affirme que « des gens appellent en pleurs tous les jours ».

Selon elle, les inspecteurs municipaux doivent non seulement aviser les propriétaires de leurs droits et obligations, mais ils doivent donner des constats d’infraction.

En savoir plus
  • 5,4 %
    Hausse du loyer moyen des logements de deux chambres à Montréal entre octobre 2021 et octobre 2022, pour atteindre 1022 $
    Source : Société canadienne d’hypothèques et de logement
  • 863 $
    Prix moyen d’un logement de quatre pièces et demie dans Hochelaga-Maisonneuve en 2022
    Source : Société canadienne d’hypothèques et de logement
  • 2,3 %
    Taux d’inoccupation à Montréal en 2022, en baisse par rapport à 2021 (3,7 %)
    Source : Société canadienne d’hypothèques et de logement