L’une des deux employées congédiées dans la foulée de la mort de Joyce Echaquan l’a été injustement, conclut un arbitre en droit du travail, qui demande au CISSS de Lanaudière de réintégrer la préposée aux bénéficiaires (PAB) et de lui payer le salaire qu’il lui doit.

L’arbitre Serge Brault rappelle que la mère de famille atikamekw est morte en septembre 2020 sous « une pluie scandaleuse et déshonorante d’insultes racistes ».

Mais, selon lui, les erreurs professionnelles commises par la préposée aux bénéficiaires ce jour-là sont bien moins graves que celles de l’infirmière, ce qui justifie une suspension sans salaire de six mois, et non un congédiement.

Une sanction disciplinaire juste peut être sévère mais elle cesse d’être raisonnable quand teintée d’arbitraire elle se fait vengeresse, faisant de la personne fautive un bouc émissaire censé occulter une responsabilité plus large.

L’arbitre Serge Brault dans sa décision rendue le 16 août

La préposée, Myriam Leblanc, avait contesté son congédiement avec l’appui du Syndicat des travailleuses et des travailleurs du CISSS de Lanaudière devant le Tribunal d’arbitrage de grief. Mme Leblanc était l’une des deux employées qu’on entendait dans une vidéo captée par Mme Echaquan le 28 septembre 2020 à l’hôpital de Joliette, juste avant sa mort.

Dans cette vidéo qui avait été diffusée en direct sur Facebook, on entendait l’infirmière Paule Rocray insulter la patiente de 37 ans. « Astie d’épaisse de tabarnak », « c’est mieux mort ça », « as-tu fini de niaiser, as-tu fini câlisse ? » ou encore « t’es meilleure pour fourrer que d’autre chose, en plus, c’est nous autres qui paye pour ça ».

L’infirmière Rocray a été congédiée par le CISSS de Lanaudière et radiée un an par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec.

Dans la vidéo, on entend aussi la préposée Myriam Leblanc dire à la patiente qui demandait ce qui advenait de son téléphone : « Le cellulaire est sur le bord, on va s’occuper de toi, il me semble que t’as de la misère à t’occuper de toi, ça fait qu’on va le faire à ta place ». « T’as fait des mauvais choix, ma belle. Qu’est-ce qu’ils penseraient, tes enfants, de te voir comme ça ? Pense à eux autres un peu », dit également la préposée.

La préposée s’est défendue devant l’arbitre d’avoir eu des intentions mesquines ou méprisantes. Selon elle, elle tentait de rassurer et de motiver la femme en crise.

L’arbitre Serge Brault en vient à conclure qu’elle a eu des « commentaires douteux empreints de préjugés, irrespectueux, infantilisants, contre-thérapeutiques » et n’aurait pas dû tutoyer Mme Echaquan.

Cela dit, les propos de la préposée « n’avaient ni le caractère, ni la profondeur, ni la même gravité » que ceux de l’infirmière.

Elle n’était pas animée de quelque intention malicieuse envers la patiente, ayant largement péché par maladresse, méconnaissance et ignorance des façons professionnelles de bien faire dans les circonstances.

L’arbitre Serge Brault dans sa décision

L’employeur accusait aussi la préposée de ne pas être intervenue quand sa collègue insultait copieusement la patiente. La préposée a affirmé qu’elle n’avait pas entendu les insultes dans le feu de l’action. L’arbitre conclut que l’employeur n’a pas réussi à prouver hors de tout doute qu’elle les avait bel et bien entendues.

Le CISSS montré du doigt

Dans sa décision, le Tribunal d’arbitrage de grief remarque une « carence importante dans la formation et l’encadrement » de l’employée. Myriam Leblanc n’avait jamais reçu une formation de base de PAB. Elle avait plutôt obtenu en 2007 un emploi dans les cuisines et à l’entretien ménager, avant de passer « au chevet des patients ».

Elle a appris son métier « sur le tas », dans les mots de l’arbitre. Elle n’avait jamais reçu de formation sur l’intervention auprès des patients agités, intoxiqués ou en sevrage.

L’arbitre en arrive à la conclusion que le congédiement de la préposée, qui avait un dossier disciplinaire vierge jusque-là, était exagéré. Selon l’arbitre, « une pression médiatique sans précédent » a pesé lourd dans la balance au moment de congédier la préposée.

Le Tribunal demande une suspension de six mois qui, dans les faits, est échue depuis longtemps, puisque l’employée a été congédiée le 1er octobre 2020. Le CISSS a dix jours pour la réintégrer et doit lui payer le salaire dû.

L’arbitre demande par ailleurs au CISSS de fournir à son employée une formation pour apprendre à intervenir auprès de personnes en situation de sevrage et une autre sur les Premières Nations. La Presse a écrit au CISSS de Lanaudière mardi midi, mais l’organisme n’avait toujours pas réagi à la décision en soirée.

La mort de Joyce Echaquan et la diffusion de la vidéo avaient mené au congédiement des deux employées. La cheffe des urgences de l’hôpital avait aussi démissionné, et le président-directeur général du CISSS de Lanaudière, Daniel Castonguay, avait perdu son poste dans la foulée des évènements.

La coroner Géhane Kamel, qui s’était penchée sur ce drame, avait recommandé un an après les faits que le gouvernement québécois « reconnaisse l’existence du racisme systémique au sein de nos institutions et prenne l’engagement de contribuer à son élimination ».