(Ottawa) Keith Spicer, qui a été le tout premier commissaire fédéral aux langues officielles, et qui a plus tard présidé le Forum des citoyens sur l’avenir du Canada, après l’échec de Meech, est décédé jeudi à Ottawa à l’âge de 89 ans.

Son fils Nick a déclaré à La Presse Canadienne que Keith Spicer était décédé jeudi matin à l’hôpital d’Ottawa.

M. Spicer avait été nommé commissaire aux langues officielles en 1970 par le premier ministre Pierre Elliott Trudeau, avec le mandat de faire respecter les droits linguistiques du français et de l’anglais dans les institutions fédérales. Il avait déjà été, en 1964, chercheur auprès de la commission Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme au Canada.

Le premier ministre Justin Trudeau a déclaré avoir « le cœur lourd » à la suite du décès de celui qui a « consacré sa vie à la promotion du bilinguisme et à la défense du français dans les institutions et les médias canadiens ».

« Ses décennies de travail acharné ont contribué à façonner le paysage linguistique du Canada tel que nous le connaissons, écrit M. Trudeau. C’est un flambeau que nous continuons à brandir haut en cherchant à établir l’égalité réelle du français et de l’anglais au Canada. »

L’actuel commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, a raconté qu’alors « jeune franco-manitobain » il voyait dans Keith Spicer « la vraie incarnation » de La Loi sur les langues officielles. « Il était une vedette, mais surtout, ma vedette », résume-t-il.

Dans son hommage, le commissaire Théberge a partagé une citation de Keith Spicer datant de 1976 : « Aucune réforme linguistique ne saurait être acquise tant que les Canadiens ne modifieront pas, en l’espèce, leur échelle de valeurs, tant qu’ils ne cesseront pas de voir, dans l’acquisition d’une autre langue, non pas un embêtement, mais une occasion d’enrichissement. »

Dans une déclaration écrite, la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Liane Roy, a noté que Keith Spicer a veillé au respect de la nouvelle Loi sur les langues officielles avec « patience, persistance et éloquence ».

C’était une époque où « tout restait à faire, tant au niveau de la compréhension des obligations linguistiques que de l’acceptation sociale de l’idée même de deux langues officielles », ajoute-t-elle, si bien que Keith Spicer a « ouvert la porte et contribué à mettre en mouvement tout ce qui a suivi », y compris la récente modernisation de la loi.

Keith Spicer, qui a grandi sur une ferme, a été francophile et a appris le français dès son adolescence, ce qui n’était pas courant à l’époque au Canada.

Durant son mandat de commissaire aux langues officielles, de 1970 à 1977, Keith Spicer se qualifiait souvent de « commissaire aux Cornflakes », raconte son fils Nick. Clin d’œil au débat qui faisait rage au Canada anglais sur l’ajout du français sur les boîtes de céréales et autres emballages alimentaires.

M. Spicer a également cofondé l’organisme humanitaire CUSO. Il a aussi été rédacteur en chef du quotidien Ottawa Citizen de 1985 à 1989.

Il avait publié ses mémoires en 2004 : Life Sentences : Memoirs of an Incorrigible Canadian. Il avait aussi écrit en 1980, à l’aube du premier référendum sur la souveraineté du Québec, Cher péquiste, et néanmoins, ami : Propos pré-référendaires dans un esprit post-référendaire.

Après avoir quitté le Ottawa Citizen, il a été président du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de 1989 à 1996.

De 1990 à 1991, après l’échec de l’accord du lac Meech, le premier ministre progressiste-conservateur Brian Mulroney lui demande de présider le Forum des citoyens sur l’avenir du Canada. Cette « commission Spicer » a précédé la nouvelle tentative de réforme constitutionnelle, finalement infructueuse : l’accord de Charlottetown de 1992.

Le rapport Spicer de 1991 recommandait notamment la reconnaissance du caractère unique de la culture québécoise, une réforme du Sénat, la reconnaissance des droits des peuples autochtones et un examen indépendant de la politique des langues officielles au Canada.

La commission Spicer, qui a suscité une vaste participation de centaines de milliers de Canadiens, a également pris acte d’un fort mécontentement au Canada à l’égard des politiques de multiculturalisme et de bilinguisme.

M. Spicer avait passé l’essentiel des dernières années à Paris, « où il se sentait jeune », raconte son fils. Mais il est ensuite rentré au Canada, « un pays qu’il aimait tant ».

Pendant son séjour à l’hôpital d’Ottawa, raconte son fils Nick, le dossier médical de Keith Spicer était rédigé en anglais et en français. « Tout a changé grâce à toi », a-t-il dit à son père.

Avec des informations de Michel Saba