Victime d’une campagne de salissage après un conflit sur la garde d’un chiot malade, la SPCA de l’Ouest-de-l’Île dit avoir perdu des milliers de dollars en dons et dû mettre à pied une douzaine d’employés. Un tribunal vient de condamner en diffamation deux de ses détracteurs, qui ont publié des messages mensongers sur les réseaux sociaux.

Bianca Godin publie une série de commentaires sur Facebook, à partir de janvier 2019, qui critiquent le traitement réservé aux animaux et qui remettent en question la gestion des dons par l’organisme. Les messages sont publiés sur le groupe Citizens Against SPCA* qu’elle administre. Elle y encourage le public à rédiger des avis défavorables contre la SPCA sur Google.

« Certaines de ses publications ciblent les dirigeants de l’organisme. Elle doute de leur probité et moralité. Cependant, elle critique surtout [leur] gestion de l’organisme, l’utilisation des dons et le traitement réservé aux animaux », note la juge Judith Harvie, de la Cour supérieure.

En mars 2019, Bianca Godin contacte des entreprises de l’ouest de Montréal pour les décourager de s’associer à l’organisme pour des collectes de fonds.

Elle joint le propriétaire du pub McKibbins, qui doit tenir un évènement-bénéfice dans son restaurant, et elle laisse entendre que les dons à l’organisme sont détournés et que les animaux n’y sont pas nourris suffisamment.

Le propriétaire ne croit pas les allégations, mais « il ne veut pas d’une manifestation à son restaurant et tient à protéger la réputation de son entreprise ». Il annule l’évènement-bénéfice.

En mars 2019, des employés de l’hôtel Marriott de l’Aéroport de Montréal, où doit se tenir un gala au profit de la SPCA, sont aussi contactés par les réseaux sociaux pour les mettre en garde contre l’organisme. La SPCA décide d’annuler l’évènement qui aurait pu lui rapporter 70 000 $, estime-t-elle, car elle craint des manifestations et du grabuge. Le jugement ne précise toutefois pas qui sont les auteurs des messages diffamatoires dans ce cas.

En parallèle, une autre page, The Truth About SPCA De L’Ouest, publie des commentaires, entre janvier et mars 2019, qui « insultent les dirigeants de l’organisme, soulèvent des questions sur leur gestion, leur probité et leur traitement aux animaux, découragent les dons à l’organisme et encouragent le public à laisser de mauvaises évaluations à son sujet sur Google ».

La SPCA avance que Sabrina Riedl est l’une des administratrices de cette page, ce que dément la défenderesse. Celle-ci prétend qu’elle a été administratrice de The Truth About SPCA jusqu’en décembre 2018 ou janvier 2019. Elle n’a aucun souvenir des autres administrateurs « puisque leur identité et leur nombre auraient varié dans le temps ».

Lors du procès tenu jusqu’en février dernier, la SPCA a voulu faire témoigner Facebook pour connaître l’identité des gestionnaires de la page, en vain. « La SPCA tente de signifier une citation à comparaître à Facebook à Montréal, mais n’y parvient pas. Elle la signifie en Ontario, mais l’entreprise ne se présente pas devant le Tribunal, [puisqu’elle] ne considère pas la demande [comme] conforme aux règles applicables, car elle n’est pas homologuée », souligne le jugement de 31 pages.

Pour cette raison, la juge conclut que la preuve ne démontre pas que Sabrina Riedl est bel et bien l’administratrice de la page The Truth About SPCA.

« Des escrocs affamés »

Sabrina Riedl reconnaît toutefois avoir envoyé un message au commerce Steve’s Car Wash, à la veille d’un évènement au profit de la SPCA, en février 2019. Elle suggère d’annuler la collecte de fonds pour éviter d’entacher la réputation du lave-auto. Elle soutient notamment que les patrons de la SPCA sont des « escrocs affamés ». L’évènement tombe à l’eau.

La juge Judith Harvie qualifie ces affirmations de « graves », « surtout à l’endroit d’un organisme dont la survie dépend des dons des bienfaiteurs ». Dans sa décision, elle ordonne aux deux femmes de cesser de diffuser ou de faire circuler des propos diffamatoires à l’encontre de la SPCA de l’Ouest-de-l’Île, sur Facebook ou par tout autre médium.

Elle condamne Sabrina Riedl et Bianca Godin à verser respectivement 500 $ et 5000 $ à la SPCA de l’Ouest. L’organisme réclamait 200 000 $.

La juge souligne que le message de Sabrina Riedl à Steve’s Car Wash est « fautif, mais il s’agit d’une goutte dans l’océan des propos qui circulent ». Elle ajoute que la portée des messages de Bianca Godin était limitée puisque sa page n’était suivie que par 330 personnes.

Contacté par La Presse, le directeur de la SPCA de l’Ouest-de-l’Île affirme que les dernières années ont été « longues et pénibles ». « On a tout perdu dans ça ; 90 % de nos revenus sont tombés. On s’est ramassés dans la rue. On n’a plus de refuge. On a 12 employés qui ont perdu leur emploi », raconte Rémi Brazeau. L’organisme travaille pour le moment avec des familles d’accueil pour héberger les animaux abandonnés, en attendant de rouvrir un refuge.

« Ça a fait de gros ravages », poursuit M. Brazeau qui aurait souhaité que les défenderesses soient condamnées à des peines plus élevées, quoiqu’il accepte la décision de la juge.

Bianca Godin et Sabrina Riedl n’ont pas répondu à notre demande d’entrevue.

Le groupe a changé de nom à au moins quatre reprises en quelques mois.

Un chiot à l’origine de la campagne de salissage

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA SPCA DE L’OUEST DE L’ÎLE

Marley

L’histoire de Marley, un chiot de 11 semaines, est à l’origine de la campagne de salissage qui a visé la SPCA. À la veille de Noël 2018, les propriétaires du chien se sont rendus chez le vétérinaire. Ils apprennent alors que Marley est atteint de Parvo, « une maladie hautement contagieuse, souvent mortelle chez les chiots, qui affecte les intestins de l’animal », souligne le jugement. Les maîtres sont incapables de payer l’opération. Le vétérinaire leur propose d’abandonner le chiot et la clinique tentera de trouver un partenaire pour financer le traitement évalué à 14 000 $. Si un refuge s’implique, il devient légalement propriétaire de l’animal. La SPCA de l’Ouest-de-l’Île s’est proposée pour amasser les fonds pour le traitement de Marley, mais a refusé de remettre le chien à sa famille d’origine quand est venu le moment de le placer en adoption. L’histoire de Marley a été diffusée à CTV et a suscité des critiques.

L’histoire jusqu’ici

24 décembre 2018

La SPCA de l’Ouest-de-l’Île organise une collecte de fonds pour un chiot qui a été abandonné chez un vétérinaire et qui doit recevoir des soins atteignant 14 000 $. Quelques mois plus tard, l’organisme refuse de remettre le chien à sa famille d’origine et le place en adoption. Cette décision suscite des critiques.

Janvier à mars 2019

Des détracteurs de la SPCA de l’Ouest-de-l’Île prennent pour cibles des évènements-bénéfice au moyen des réseaux sociaux. Trois collectes de fonds sont annulées.

Décembre 2019

L’organisme entreprend une poursuite en diffamation contre Bianca Godin et Sabrina Riedl.

Août 2023

Les deux femmes sont condamnées à payer respectivement 500 $ et 5000 $.