Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) est « responsable » d’une « situation grave de mauvaise gestion », a conclu le Protecteur du citoyen, après avoir mené trois enquêtes parallèles dans la foulée de l’affaire Louis Robert.

Dans son rapport annuel d’activités, déposé jeudi, l’ombudsman du Québec souligne qu’il ne nomme généralement pas les organisations mises en cause par ses enquêtes en matière d’intégrité publique, mais pour une rare fois, « il lève le voile ».

Les enquêtes découlent d’une crise survenue au Centre de recherche sur les grains (CÉROM), organisme à but non lucratif majoritairement financé par le MAPAQ.

« Informé depuis longtemps des irrégularités au CÉROM, le MAPAQ a tardé à agir pour régler la situation, et ce, en toute connaissance de cause », peut-on lire dans le rapport signé par Marc-André Dowd.

Fonctionnaire provincial durant 32 ans, l’agronome Louis Robert a été limogé en 2019 pour avoir dénoncé l’ingérence du secteur privé dans la recherche publique sur les pesticides au CÉROM, d’abord auprès du MAPAQ, puis en transmettant une note ministérielle à un journaliste de Radio-Canada.

Le document confidentiel alléguait que des chercheurs du CÉROM avaient subi des tentatives d’intimidation de la part de membres du conseil d’administration et de son président, Christian Overbeek, « dans la diffusion et l’interprétation des résultats de projets de recherche ».

Au cœur de la controverse : une étude menée par des chercheurs du CÉROM qui révélait que l’usage des néonicotinoïdes – ces fameux insecticides « tueurs d’abeilles » – était injustifié dans plus de 95 % des champs de maïs et de soya du Québec.

Des signalements dès 2011

Le rapport du Protecteur du citoyen révèle que le MAPAQ, la direction du CÉROM et son conseil d’administration (auquel ont siégé des représentants du Ministère) ont été mis au fait des « problèmes » vécus au CÉROM dès 2011, soit cinq ans avant le signalement du lanceur d’alerte Louis Robert.

« Entre 2011 et 2017, des membres du personnel du CÉROM ont régulièrement effectué des signalements, et graduellement de façon de plus en plus marquée », écrit le Protecteur.

« Le MAPAQ a offert une collaboration pleine et entière aux équipes du Protecteur du citoyen. Dans le premier dossier, toutes les recommandations du Protecteur du Citoyen soumises au MAPAQ ont été implantées à la satisfaction de celui-ci. Pour les deux autres, des plans d’action ont été soumis », a réagi le MAPAQ par écrit.

Conflit d’intérêts

En plus du MAPAQ, le Protecteur du citoyen met en cause deux personnes qui ne sont pas nommées dans le rapport.

Il reproche notamment un « conflit d’intérêts » et un « manquement grave » aux normes d’éthique et de déontologie à un membre du conseil d’administration du CÉROM. Ce dernier occupait également des fonctions au sein du syndicat agricole des Producteurs de grains du Québec, en plus d’être inscrit au registre des lobbyistes pour s’opposer à une nouvelle réglementation visant à restreindre l’usage des pesticides.

« La situation du mis en cause lui conférait le pouvoir d’influencer les sujets de recherche. Il a toutefois outrepassé les limites de ce pouvoir en s’adressant directement au MAPAQ pour avoir une incidence sur certains sujets de recherche », écrit le Protecteur du citoyen.

En déconsidérant publiquement la recherche du CÉROM sur les néonics, le mis en cause a jeté le discrédit sur l’organisme et ses chercheurs, affectant la confiance du public dans cette entité financée majoritairement par le MAPAQ et donc par des fonds publics.

Extrait du rapport du Protecteur du citoyen

Dans un discours prononcé le 25 mars 2022, Christian Overbeek aurait affirmé qu’il avait été « blanchi » relativement à la quasi-totalité des éléments qui ont fait l’objet de l’enquête du Protecteur. Selon l’hebdomadaire agricole La Terre de chez nous, il a déclaré avoir seulement manqué à son code d’éthique.

Joint par La Presse, M. Overbeek n’a pas voulu commenter le rapport.

« Sur le fond, je suis content parce que le Protecteur en vient aux mêmes constats que je faisais », a pour sa part souligné Louis Robert.

La deuxième personne – qui n’assume plus aucune responsabilité au sein du CÉROM – a produit des réclamations financières injustifiées au MAPAQ entre 2012 et 2018.

« Quoique les fonds soient demeurés au sein du CÉROM, la quantité d’erreurs dans les réclamations financières concernant les projets de recherche démontre l’intention de la personne mise en cause de soutirer un financement indu au MAPAQ », conclut le rapport.