Ils sont venus au Québec dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure. On a plutôt profité de leur vulnérabilité et de leur statut précaire pour les exploiter. C’est ce qu’allègue une demande d’autorisation pour exercer une action collective contre une agence de placement de personnel et sa cliente multinationale, déposée, mardi, à la Cour supérieure du Québec.

CE QU’IL FAUT SAVOIR

  • Une demande d’autorisation pour exercer une action collective a été déposée mardi à la Cour supérieure du Québec au nom de travailleurs migrants qui s’estiment victimes d’un système « illicite » de placement de personnel.
  • La requête vise l’agence de placement de personnel lavalloise Trésor et la multinationale de restauration aérienne Newrest, qui fournit des repas pour les vols en partance de Montréal. Les deux entreprises rejettent les allégations.
  • Six travailleurs migrants ont pris la parole mercredi pour témoigner de leurs conditions de travail.

La demande – intentée par le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI) – vise l’agence de placement de personnel lavalloise Trésor et la multinationale de restauration aérienne Newrest. Tous deux nient ces reproches.

Newrest produirait environ 15 000 repas par jour qui sont servis dans les avions en partance de Montréal, allègue la demande d’autorisation.

« Si tu as pris un avion à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau au cours des deux dernières années, la nourriture de ton avion a peut-être été préparée par un travailleur migrant victime de graves abus », a déclaré Benoît Scowen du CTI, lors d’une conférence de presse qui s’est déroulée mercredi matin dans les locaux de l’organisme.

Six travailleurs y ont aussi pris la parole en espagnol, en s’identifiant avec la première lettre de leur prénom. Le CTI a indiqué qu’ils avaient obtenu la permission de rester au Canada en vertu d’un permis de séjour temporaire pour les victimes de traite humaine.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Des travailleurs migrants lancent une campagne et une demande d’exercer une action collective alléguant des violations de leurs droits fondamentaux à l’aéroport de Montréal. Photo prise lors du point de presse.

« En tant que travailleurs, nous avons été rendus invisibles et traités comme des esclaves », a déclaré K., une Chilienne arrivée en tant que touriste avec son mari et sa fille de moins de 2 ans.

Elle a connu l’agence Trésor en janvier 2023. « Cette agence m’a promis de me faire passer du statut de touriste à celui de travailleur au moyen d’un permis de travail fermé pour travailler avec une entreprise de renommée internationale appelée Newrest », a-t-elle expliqué. « Ce qui semblait être un rêve s’est avéré être un cauchemar […]. J’étais exploitée. Et sur le lieu du travail, j’ai été la victime directe du racisme, de la violence sexiste, des abus psychologiques et de l’usure physique. »

K. et son mari ont tous deux étés licenciés.

« J’ai subi des abus psychologiques, physiques, verbaux et sexuels de la part de mes supérieurs, par exemple on m’a demandé une fois si j’étais vierge, on m’a interdit de parler ma langue maternelle ou même de parler, on m’a touchée sans mon consentement et on m’a même poussée », a pour sa part témoigné A, arrivée du Mexique en février 2022 comme touriste pour suivre un cours d’anglais.

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Des travailleurs migrants lancent une campagne et une demande d’exercer une action collective alléguant des violations de leurs droits fondamentaux à l’aéroport de Montréal. Photo prise lors du point de presse.

Réaction de Newrest

Dans une déclaration écrite, l’entreprise Newrest a indiqué qu’elle prenait « très au sérieux » les éléments mentionnés dans la demande et qu’elle mènerait une « investigation complémentaire en toute transparence ».

« Newrest dément formellement les allégations portées à son encontre par le Centre des Travailleurs et Travailleuses Immigrants. Le groupe, créé en 2005 et présent au Canada depuis 2010, respecte scrupuleusement les lois sociales et d’immigration en vigueur au Canada et plus particulièrement au Québec pour l’embauche de ses salariés », a indiqué l’entreprise.

« Lors de leur référencement, les sous-traitants de Newrest, au Canada, comme dans les 54 pays dans lesquels le Groupe est présent, sont systématiquement soumis à une procédure d’audit interne. Cette procédure permet à Newrest de s’assurer que ses sous-traitants respectent leurs obligations légales, sociales, fiscales et syndicales », a-t-elle ajouté.

Système « illicite »

Si un juge autorise l’action collective à aller de l’avant, celle-ci visera toute personne ayant travaillé pour Trésor ou dans une unité de production de Newrest sans permis de travail valide. Environ 400 travailleurs seraient concernés, allègue le CTI.

« Le recours vise à obtenir justice pour des centaines de travailleurs migrants victimes d’un système manifestement illicite mis en place et exploité par les défenderesses », peut-on lire dans la demande rédigée par des avocats du cabinet Trudel Johnson & Lespérance. « Depuis 2021, une agence nommée Trésor recrute frauduleusement les membres du groupe en leur promettant faussement un permis de travail “fermé”, c’est-à-dire lié à un employeur, et un emploi légal au Canada. Les membres sont des personnes qui se trouvaient déjà au Canada sous un statut de visiteur ou à l’étranger, surtout dans des pays hispanophones », peut-on lire dans le document juridique de 32 pages.

Les personnes recrutées ont ensuite été incitées à travailler « frauduleusement » pendant une période probatoire, poursuit la demande.

« Newrest et ses préposés sont pleinement conscients du fait que les membres du groupe travaillant dans ses unités de production n’ont en réalité pas de permis de travail et que la grande majorité de ces travailleurs n’en obtiendront pas », ajoute la requête.

Dans une entrevue accordée à La Presse Canadienne, Guillermo Montiel Villalvazo, un dirigeant de Trésor qui est nommé comme défendeur, a affirmé qu’il était « stupéfait » par les allégations. « Nous sommes une agence qui fonctionne en toute légalité depuis 2013. Nous n’avons jamais proposé d’emploi à quelqu’un qui n’avait pas de permis », a-t-il dit à l’agence de presse.

Trésor n’a pas retourné notre appel ou répondu à notre courriel.

H., une Mexicaine qui a laissé ses enfants au Mexique dans l’espoir d’une vie meilleure, a donné une version contradictoire lors du point de presse.

« J’ai contacté Trésor depuis le Mexique et je suis arrivée avec la promesse d’un permis de travail fermé. J’ai été accueillie par de mauvaises personnes, qui ont profité de mon besoin et de mon ignorance en matière d’immigration, me faisant travailler sans permis de travail pendant trois mois pour la période d’essai et me menaçant ensuite d’expulsion », a affirmé celle qui a commencé à travailler pour Newrest en octobre 2022.

« Trésor et Newrest ont abusé de moi et de nombreux autres collègues. Les abus vont de l’abus psychologique à l’abus physique en passant par les salaires impayés. Aujourd’hui, Newrest et Trésor me doivent plus de 4000 $ pour des heures non payées. »

Elle dit n’avoir jamais reçu son permis censé être délivré en janvier 2023. Elle a été licenciée en août 2023.