Le géant du tabac au Canada Imperial Tobacco mène en catimini une campagne s’opposant à l’interdiction prochaine des parfums dans les produits de vapotage au Québec, particulièrement prisés des mineurs.

Difficile de savoir qui se cache derrière la campagne « Bye saveurs », déployée au Québec depuis quelques semaines. Tant les affiches qu’on peut retrouver dans des dépanneurs et des stations-service que le site web Byesaveurs. ca évitent de mentionner qui en est à l’origine.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Des affiches de la campagne « Bye saveurs » sont apparues au Québec dans les dernières semaines.

C’est pourtant bel et bien le géant du tabac Imperial Tobacco qui a lancé cette campagne, a pu confirmer La Presse. L’entreprise dit vouloir s’assurer que « les consommateurs adultes qui ont fait le choix de vapoter soient bien informés de la nouvelle réglementation et qu’ils aient la possibilité d’exprimer leur mécontentement auprès de leur député s’ils le souhaitent », a indiqué par courriel Éric Gagnon, vice-président aux affaires juridiques et externes d’Imperial Tobacco.

Sur son site web, la campagne « Bye saveurs » présente un compte à rebours en jours et en heures avant que la nouvelle réglementation du Québec ne soit en vigueur, le 31 octobre prochain. Les affiches installées dans de nombreux dépanneurs présentent aussi un décompte numérique.

Le site web propose aussi une série de questions/réponses. À la question « Le vapotage est-il mauvais pour la santé ? », la réponse est notamment que les « produits de vapotage sont moins nocifs que les cigarettes » et qu’ils peuvent « aider les fumeurs à arrêter de fumer ».

Interdiction soutenue par la Santé publique

L’interdiction des parfums dans les produits de vapotage fait suite « aux recommandations du groupe spécial d’intervention sur le vapotage composé de représentants du ministère de la Santé et des Services sociaux, de l’Institut national de santé publique, de cliniciens, d’autres ministères et organismes gouvernementaux, de directeurs de santé publique et d’organismes non gouvernementaux », a rappelé à La Presse Antoine de la Durantaye, attaché de presse au cabinet du ministre de la Santé, Christian Dubé.

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Le vapotage est d’ailleurs en hausse « fulgurante » chez les jeunes Québécois depuis 10 ans, a révélé l’Institut national de santé publique du Québec en octobre 2022.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Étalage de produits de vapotage à différents parfums

Près d’un adolescent sur cinq vapote désormais, même si la vente de ces produits est interdite aux mineurs. Et parmi ces jeunes de 15 à 17 ans, 33 % le font chaque jour.

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Chez Imperial Tobacco, on se dit soucieux des enjeux du vapotage chez les mineurs. « Cependant, cette nouvelle réglementation n’aidera en rien à réduire le vapotage chez les jeunes puisque le marché noir comblera le vide en matière de saveurs, estime M. Gagnon. Ce marché ne sera ni réglementé ni contrôlé. »

Pas une campagne publicitaire, dit Imperial Tobacco

Selon la Loi sur la protection du consommateur, il est interdit pour un commerçant « d’omettre son identité et sa qualité de commerçant dans un message publicitaire, soit un message destiné à promouvoir un bien, un service ou un organisme au Québec », a indiqué Charles Tanguay, des relations avec les médias de l’Office de la protection du consommateur. Il s’exprimait de manière générale, ne commentant pas spécifiquement cette campagne d’Imperial Tobacco.

Questionnée à savoir pourquoi l’entreprise ne s’identifiait pas dans la campagne « Bye saveurs », Imperial Tobacco a répondu que les affiches installées en évidence près des caisses des dépanneurs ne s’apparentent pas à une « campagne publicitaire ».

Nous n’avons donc pas cru nécessaire ni important d’afficher notre identité sur cette campagne d’information, puisque cela n’était pas en lien avec le message à livrer.

Éric Gagnon, vice-président aux affaires juridiques et externes d’Imperial Tobacco

Notons qu’Imperial Tobacco commercialise les produits de vapotage Vuse, qui offrent une vaste gamme de parfums, allant de café-coco à fraise-kiwi.

Imperial Tobacco est aussi enregistrée à titre de lobbyiste au Québec depuis décembre 2022. Sa démarche vise notamment à « informer le gouvernement du Québec des plus récentes données disponibles liées au vapotage ».

Au cabinet du ministre de la Santé, Christian Dubé, on n’a pas commenté cette campagne en particulier. « Nous nous sommes engagés à agir pour mieux encadrer le vapotage au Québec », a toutefois précisé M. de la Durantaye. « Nous visons à réduire les effets néfastes et préoccupants du vapotage dans la population, et particulièrement chez les jeunes. »

Sous la protection de la loi

La porte-parole et codirectrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, Flory Doucas, qualifie de « sournoise et voilée » la tactique d’Imperial Tobacco pour faire passer son message.

Elle souligne qu’Imperial Tobacco s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) en 2019 après avoir perdu – avec deux autres géants du tabac – une action collective regroupant près de 100 000 Québécois. Les trois entreprises ont été condamnées à débourser près de 15 milliards de dollars en dommages-intérêts.

Cela choque Flory Doucas. Ces Québécois n’ont rien reçu.

C’est inimaginable [qu’Imperial Tobacco] fasse ça alors qu’ils disent qu’ils n’ont pas les sous pour rembourser les victimes québécoises.

Flory Doucas, de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac

Sous la LACC, un syndic est responsable de surveiller Imperial Tobacco, qui peut poursuivre ses activités habituelles, comme l’organisation de campagnes. Le syndic d’Imperial Tobacco – l’entreprise FTI Consulting – n’a jamais répondu aux demandes de La Presse.

« Nous agissons conformément à toutes nos obligations en vertu de la [LACC] et à toutes les décisions de la cour, et cette campagne ne fait pas exception », a assuré par courriel M. Gagnon.

« Dans le contexte actuel où le gouvernement peut avoir un regard critique sur comment l’argent est dépensé par les cigarettiers, [cette campagne] est un symptôme du manque de diligence du gouvernement dans le processus entourant la LACC, estime pour sa part Mme Doucas. Et du fait que ce processus-là est complètement inapproprié pour résoudre des enjeux de santé publique. »