Les pluies torrentielles du mois de juillet auraient endommagé près de 60 % des superficies maraîchères du Québec, révèle un sondage mené par l’Union des producteurs agricoles (UPA), que La Presse a obtenu. Les champs ravagés par ces averses historiques ont enregistré 42 % de pertes. Du jamais-vu, rapportent plusieurs associations d’agriculteurs.

« C’est sûr que c’est historique », résume Catherine Lefebvre, présidente de l’Association des maraîchers du Québec. « Ça prend une aide d’urgence », a-t-elle ajouté.

Les résultats du sondage seront rendus publics ce lundi. Légumes de champ, pommes de terre, légumes de transformation, fraises et framboises : plusieurs associations d’agriculteurs demandent une intervention du ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne.

« Il y a eu des comités mis en place, mais là, présentement, on a l’impression que ça stagne alors que ça crie dans les champs », déplore Mme Lefebvre.

Comment va le moral des producteurs ? « Dans les talons », répond-elle tout de go.

5000 hectares perdus

Le coup de sonde de l’UPA – le syndicat des agriculteurs du Québec – a été mené entre le 8 septembre et le 10 octobre. Environ 1500 membres ont reçu le sondage et 280 d’entre eux ont décidé d’y répondre.

L’UPA considère que la « représentativité » de l’échantillon est « élevée » car il représente 50 % du chiffre d’affaires du secteur maraîcher au Québec et plus de 30 % de celui des pommes de terre et des fraises et framboises. En d’autres termes, ce sont surtout de gros producteurs qui ont répondu au questionnaire.

Mises ensemble, les superficies détenues par les producteurs sondés totalisent 20 253 hectares (ha). Les pertes totales sont estimées à 5001 ha.

Et quant aux légumes qui ont pu être cueillis, certains sont de plus petit calibre ou se conserveront moins longtemps une fois entreposés.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Les fortes pluies peuvent avoir une incidence sur la grosseur des légumes.

Les dommages sont particulièrement élevés dans les productions de légumes racines : 64 % des superficies ont été affectées par l’excès d’eau. Sur les superficies affectées, les pertes au champ sont estimées à 46 %.

Du côté des pommes de terre, 50 % des superficies ont été affectées par l’excès d’eau, pour 35 % de pertes.

« J’ai 51 ans et c’est la première fois que je ne fais pas d’irrigation ! », s’exclame Francis Desrochers, président des Producteurs de pommes de terre du Québec.

Autre exemple, les pois verts : 88 % des superficies ont été affectées par l’eau, pour 48 % de pertes.

« Ça fait une trentaine d’années que je suis producteur et une année comme cette année, je n’ai jamais vu ça », confirme le président des Producteurs de légumes de transformation du Québec, Pascal Forest.

Avec toutes les municipalités durant l’été qui ont eu des déluges, des ponceaux et des bouts de route arrachés : ça, le gouvernement reconnaît ça. Il débloque des fonds. Il règle ça. Tandis que nous autres, pour l’agricole, on dirait qu’ils sont habitués qu’on s’arrange avec nos troubles et ils font comme s’il ne s’était rien passé.

Pascal Forest, président des Producteurs de légumes de transformation du Québec

« Et ça, c’est très, très, très ordinaire comme non-considération », a ajouté M. Forest.

Du côté des fraises et framboises, 73 % des superficies ont été affectées par l’excès d’eau, pour 44 % de pertes.

PHOTO FOURNIE PAR L’ASSOCIATION DES PRODUCTEURS DE FRAISES ET DE FRAMBOISES DU QUÉBEC

Les récoltes de fraises et de framboises ont été grandement affectées par l’excès d’eau.

« Ce sont des pertes très importantes. Moi, ça fait 48 ans que je suis en production et en mise en marché, et je n’ai jamais vu une météo comme ça », explique Michel Sauriol, président de l’Association des producteurs de fraises et de framboises du Québec.

« Ce que je vois présentement, c’est de la détresse importante du côté des producteurs. Pourquoi ? Parce que le gouvernement ne bouge pas. Il se rabat toujours sur la même chose, les programmes en place, quand c’est clair que ça ne fait pas la job. »

Record de pluie, torrent de réclamations

Le Québec a connu son mois de juillet le plus pluvieux l’été dernier. Selon Environnement Canada, il est tombé 212 mm de pluie à Montréal en juillet, fracassant le record de 183 mm de juillet 1980.

À Québec, 265 mm de précipitations se sont déversés en juillet, alors que le record précédent datait de 1992, avec une chute de 256 mm de pluie. Ces deux stations enregistrent des données depuis le début des années 1940.

Près de 40 % des répondants au sondage étaient situés en Montérégie et 17 %, dans Lanaudière.

En date du 27 octobre, 7064 avis de dommages ont été enregistrés auprès de La Financière agricole du Québec – l’assureur des agriculteurs – comparativement à 3813 l’an dernier. (À noter, ces chiffres comprennent aussi les avis de dommages pour d’autres types de culture comme les céréales, les grains et le sirop d’érable.)

« La Financière agricole nous a dit que c’était 100 % des producteurs et productrices assurés qui avaient ouvert un avis de dommages », explique Mme Lefebvre.

100 % des producteurs qui sont en avis de dommages, moi, ce que ça me dit, c’est que c’est l’entièreté du territoire du Québec qui a été affecté par les conditions climatiques de cet été.

Catherine Lefebvre, présidente de l’Association des maraîchers du Québec

Pour tous, un constat s’impose avec l’avènement des changements climatiques : il est temps de réformer les programmes d’assurance récolte, qui ne sont plus adaptés aux épisodes de météo extrême de plus en plus fréquents. À preuve, à peine 50 % des producteurs maraîchers et environ 30 % des producteurs de fraises et de framboises choissent de s’assurer, illustre Mme Lefebre. Les critères pour être dédommagés seraient trop restreints, soutient-elle.

« Si tu es rendu que tu as une majorité de fermes qui ne sont pas assurées, c’est indicatif qu’il y a quelque chose qui ne marche pas », souligne Patrice Léger Bourgoin, directeur général de l’Association des producteurs maraîchers du Québec. « Qu’est-ce que ça donne d’avoir des cibles d’autonomie alimentaire au Québec si, derrière ces cibles-là, il n’y a pas de structure, il n’y a pas de plan de match pour les avaries ? », se demande-t-il.

« Il doit y avoir un réveil qui se fait avec les changements climatiques, ajoute-t-il. Il faut être capable de s’adapter à cette nouvelle réalité-là qui va devenir la norme. Et tu ne peux pas le faire avec des programmes qui ont été mis en place il y a 30 ans. »

Témoignage d’un producteur

Philippe Le Guerrier est producteur à Blainville. « On a toujours été à la merci de Dame Nature, j’en ai vu, des affaires extrêmes, mais pas aussi extrêmes que cet été », souligne celui qui a dû abandonner un champ de betteraves à maturité et enregistrer de lourdes pertes dans un champ de carottes.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le producteur agricole Philippe Le Guerrier

« J’ai eu un moment où il y a eu 60 mm en une heure, raconte Philippe Le Guerrier. Ça n’a aucun bon sens de se dire [qu’]on va produire en ayant des orages aussi forts. Moi, je n’ai jamais vu ça. »

Agriculteur de 5génération, sa famille produit sur la même terre depuis 167 ans. « Face aux changements climatiques, s’il n’y a personne qui se fait aider en agriculture, moi, je crois qu’il n’y en aura juste plus. »

Dimanche soir, le cabinet du ministre Lamontagne a indiqué qu’il convoquait les associations agricoles à une rencontre avec La Financière agricole le 8 novembre.

En savoir plus
  • 45 %
    Proportion de répondants qui craignent de manquer de liquidités pour terminer l’année à cause de l’excès d’eau
    Source : Sondage de l’UPA
    150 millions
    Baisse anticipée des ventes en raison de l’excès d’eau dans les champs, ce qui représente une diminution de 32 % du chiffre d’affaires des répondants
    Source : Sondage de l’UPA
  • 60 %
    Proportion des répondants touchés par d’autres caprices de Dame Nature, comme le gel historique du mois de mai ou des épisodes de grêle
    Source : Sondage de l’UPA
    56 %
    Proportion des producteurs sondés qui anticipent des pertes à l’entreposage supérieures à celles d’une année normale
    Source : Sondage de l’UPA