Un automobiliste qui a heurté une enseignante en forçant une ligne de piquetage, en 2021 à Sherbrooke, a décidé de poursuivre pour 15 000 $ la personne qui a appelé le 911 afin de rapporter la situation.

Bien mal lui en prit : en plus de rejeter la poursuite, la justice vient de condamner Gaétan Laguë à indemniser le collègue de la victime qui ne faisait que « son devoir » en appelant des secours. Hasard du calendrier, la décision a été rendue à la veille de journées de grève dans les services publics.

M. Laguë blâmait Mathieu Cayer pour avoir alerté les autorités, menant à son arrestation et au dépôt d’accusations criminelles à son endroit. Le Sherbrookois a toutefois été acquitté, la justice doutant de son « intention coupable ».

Mais malgré cet acquittement, la poursuite civile entamée contre M. Cayer était abusive, a tranché la Cour du Québec, en condamnant son instigateur à lui verser 2000 $.

Faire porter le blâme de ses déboires à M. Cayer pour son appel au 911 est objectivement incompréhensible et déraisonnable.

La juge Sophie Lapierre

« La responsabilité de l’arrestation policière, des accusations criminelles, du procès et de l’impact dans la vie personnelle de M. Laguë n’est pas le résultat de l’appel au 911 ni d’un complot dont il serait l’instrument, mais plutôt de l’incident qui a blessé Mme Arpin », la professeure heurtée par l’auto de M. Laguë, a continué la juge.

Choc et douleur

Les faits remontent au 14 avril 2021. Gaétan Laguë va reconduire en voiture son enfant à l’École secondaire du Triolet, à Sherbrooke.

« Ce matin-là, des enseignants manifestent dans le cadre d’un conflit de travail, relate la juge Sophie Lapierre. Insistant pour franchir la ligne de piquetage, M. Laguë heurte et blesse une enseignante avec sa voiture. Il rebrousse chemin, dépose son fils un peu plus loin et quitte les lieux. » L’enseignante « est en état de choc et souffre de douleurs aux genoux ».

Mathieu Cayer, professeur et délégué syndical, prend part à la ligne de piquetage, mais n’est pas témoin direct de la collision. Il en est informé, va rencontrer sa collègue et décide d’appeler le 911.

En agissant de la sorte, l’enseignant « lui porte assistance, comme toute personne raisonnablement prudente et diligente, en s’assurant qu’un appel est fait au 911 », a évalué la juge Sophie Lapierre.

« Le recours de M. Laguë et son choix de le continuer jusqu’à l’audience constituent l’exercice abusif d’un recours judiciaire. Il a agi avec témérité. Son recours est manifestement mal fondé et voué à l’échec, a-t-elle continué. M. Laguë doit être condamné à verser une indemnité pour dommages-intérêts à M. Cayer. »

« Plusieurs nuits blanches, du stress »

En entrevue avec La Presse, cette semaine, Gaétan Laguë a continué à blâmer M. Cayer pour beaucoup « de frustrations et d’angoisse qu’[il a] eues et que [sa] famille a vécues ».

« Je veux tourner la page, parce que j’ai dépensé trop d’énergie et beaucoup d’argent à cause de certaines personnes et elles s’en tirent avec absolument aucune conséquence, a-t-il dit. Je déplore tout ce qui s’est passé côté criminel, côté policier, côté DPCP. Il n’y a personne qui a voulu m’aider. »

M. Laguë a affirmé qu’il comptait toutefois respecter le jugement des petites créances : « J’ai jusqu’au 2 novembre, je vais le payer. »

Mathieu Cayer, pour sa part, s’est dit « satisfait » de la décision.

« Ç’a été très long. Plusieurs nuits blanches, du stress, beaucoup, beaucoup d’heures à s’informer et à essayer de comprendre, a-t-il expliqué au bout du fil. Tout au long des démarches, j’avais de la difficulté à comprendre comment on peut porter des accusations envers la personne qui a appelé le 911. »

« Là, au moins, c’est terminé. On met ça derrière soi », a-t-il ajouté.

Richard Bergevin, président du Syndicat de l’enseignement de l’Estrie, a rapporté que l’enseignante heurtée par M. Laguë a dû recevoir des traitements de plusieurs mois pour soigner ses jambes.

« Aujourd’hui, elle va bien », a rapporté le syndicaliste.

Mathieu Cayer « a simplement fait preuve de bon jugement citoyen », a-t-il ajouté en se réjouissant de la décision des petites créances.