En juin 2024, toute personne adoptée pourra connaître les noms de ses parents biologiques, que ces derniers le veuillent ou non. Le système sera-t-il prêt à traiter plusieurs dizaines de milliers de demandes ? Ceux qui sont toujours à la recherche de leurs origines – et qui savent que le temps joue contre eux – s’inquiètent.

« Nous sommes tous nés dans les années 1940, 1950 ou 1960, on avance en âge. Finira-t-on par le savoir avant de mourir ? », se demande Sylvie Bastien, qui demeure en quête de réponses.

PHOTO FOURNIE PAR SYLVIE BASTIEN

Sylvie Bastien

Mme Bastien était pleine d’espoir en 2018 quand Québec a d’abord autorisé le dévoilement des origines à certaines conditions. Elle a présenté une demande. Elle n’était pas seule : Québec a alors reçu pas moins de 84 000 requêtes, confirme le ministère de la Santé et des Services sociaux.

« Il a fallu deux ans avant que j’obtienne une réponse », explique Mme Bastien.

Et elle était négative. Ni le nom de son père ni celui de la mère ne lui ont été révélés. Sa mère biologique avait utilisé son droit de veto (tel que permis et publicisé en 2018 par le gouvernement du Québec). Le père présumé, lui, était décédé.

À partir de juin 2024, il n’y aura plus de veto possible de la part de la mère biologique. Mme Bastien, qui entend à ce moment-là présenter une nouvelle demande, craint de nouveaux délais du fait que des milliers de personnes feront de même. Cette fois, les descendants des personnes adoptées pourront eux aussi espérer en savoir plus sur leurs origines. À l’échelle de la province, Québec prévoit recevoir quelque 60 000 nouvelles requêtes.

Beaucoup de délais et d’attentes déçues

François Dupuis, lui, pense renoncer à toute nouvelle démarche après avoir obtenu trop de réponses contradictoires jusqu’ici.

J’ai subi déception après déception. Je pense que là, je lâche prise. Je ne connaîtrai jamais la vérité.

François Dupuis

La quête de M. Dupuis remonte à 2009. Il cherchait alors ses « antécédents sociobiologiques ». Tout au plus a-t-il su à ce moment-là son poids à la naissance, le travail de ses parents (un chauffeur de taxi et une ouvrière dans une manufacture) et quelques-unes de caractéristiques physiques de ses parents.

Lors d’une discussion, on lui a d’abord indiqué « qu’il serait difficile d’obtenir des informations supplémentaires puisque les archives de l’hôpital avaient brûlé ».

Espérant avoir plus de détails grâce aux modifications législatives de 2018, il a présenté une nouvelle demande. Il apprend alors que le nom de sa mère apparaît sur l’acte d’abandon.

Quelques mois plus tard, cette information est réfutée. On lui indique que ses documents ont en fait été détruits dans l’inondation des archives. « À la suite d’une plainte, il a plutôt été question d’une destruction quelconque avant la numérisation de mes documents. »

En 2022, il finit par apprendre l’existence d’un document intitulé « Enregistrement d’une personne vivante », qui l’informe que sa mère biologique a accouché de trois enfants, dans Lanaudière.

« Aurais-je dû l’obtenir lors de ma demande initiale ? Existe-t-il d’autres documents de ce type ? », se demande M. Dupuis, qui ne veut plus avoir d’attentes.

D. D. (qui demande l’anonymat pour préserver sa famille adoptive) raconte pour sa part « avoir été dans le néant pendant deux ans et demi ».

« Je suis allé voir ailleurs », indique-t-il, disant avoir été déçu par ce qu’il qualifie d’incompétence du CIUSSS avec lequel il a fait affaire.

Il a donc décidé de s’en remettre à un site privé de recherche généalogique. Il a ainsi retrouvé sa fratrie et sa mère, son père étant décédé.

Plaidoyer pour des procédures claires

Caroline Fortin, présidente du Mouvement Retrouvailles, relève que le nouveau régime qui sera en application au plus tard en juin 2024 sera « un grand pas », dans la mesure « où il n’y aura plus de refus possible » de la part des parents biologiques.

Elle aussi espère que les autorités se préparent en conséquence.

Elle insiste. Cette fois, les fonctionnaires attitrés à la tâche devront être en nombre suffisant, et les procédures et consignes devront être claires dès le départ « pour qu’il n’y ait pas de place à l’interprétation » quant aux réponses qui pourront être données.

Historiquement, au Québec, l’adoption s’est faite sous le sceau de la confidentialité, de sorte que l’identité des parents biologiques était tenue secrète, ce qui complique les recherches (tout comme l’archivage inégal des renseignements).

Les autorités sont maintenant plus conscientes, dit Mme Fortin, que les demandeurs ne doivent pas « se buter à une centrale qui donne des informations platement », sans égard au fait que les démarches en question sont nécessairement très chargées émotivement.

Les demandes de personnes en quête de leurs origines sont maintenant traitées essentiellement par des travailleurs sociaux des CISSS et des CIUSSS, et l’aspect humain est mieux pris en compte.

Carole Fordham, qui a retrouvé un frère quand leur mère a entrepris des démarches après ses 80 ans, plaide pour la plus grande des délicatesses en toutes choses.

Quand ces enfants ont été adoptés, la confidentialité a été promise aux femmes, qui sont aujourd’hui très âgées. Je m’inquiète du choc qu’un appel peut leur occasionner.

Carole Fordham

« Dans notre cas, ma mère a attendu que son mari meure pour chercher son premier fils. Mon père n’a jamais su que ma mère avait eu un bébé avant leur rencontre », poursuit Mme Fordham.

Québec dit fournir à la tâche

Au ministère de la Santé et des Services sociaux, Marie-Claude Lacasse, coordonnatrice aux relations avec les médias et le réseau, indique qu’à l’heure actuelle, les délais pour obtenir une réponse sont normaux, mais qu’il y a des impondérables. « Dès la prise en charge de la demande, le délai peut varier en fonction de plusieurs facteurs : les services demandés, les informations disponibles et celles qui doivent être recherchées, les délais inhérents aux organisations partenaires, la recherche et la localisation des personnes […]. »

Le nombre approximatif de réponses en attente de traitement à la fin de l’année financière 2020-2021 était de 3000. En 2022-2023, il avait chuté à 600, indique Mme Lacasse.

Le CIUSS de la Capitale-Nationale dit avoir entendu que Québec s’attend à quelque 60 000 nouvelles demandes en juin, avec les nouvelles mesures. Il nous a renvoyés au ministère de la Santé et des Services sociaux pour plus de précision quant à ce chiffre, mais le ministère n’a pas répondu à cette question spécifique.