Anne-Marie Jobin, 45 ans, est paralysée de la taille aux orteils depuis la naissance. En avril dernier, la vie déjà très difficile de cette femme s’est sérieusement compliquée : elle a dû être hospitalisée pendant huit mois. Alors qu’elle était à l’hôpital, son propriétaire lui a signifié une hausse de loyer pour son appartement situé à Greenfield Park. Le loyer passait, dit-elle, de 830 $ par mois… à 1080 $. Une hausse de 30 %.

Mme Jobin dit n’avoir jamais pris connaissance du document envoyé par le propriétaire, puisqu’elle était hospitalisée. « Je ne l’ai jamais vu, ce document. » Elle n’a donc pas pu refuser la hausse et elle a manifestement été considérée comme acceptée. Et puis, en septembre dernier, elle a signé un document qui résiliait son bail. « J’ai mal compris ce que j’ai signé, dit-elle maintenant. Ça disait que je devais partir le 1er novembre. Je n’aurais jamais dû signer ça, mais là, il est trop tard. »

Résultat : la femme handicapée doit, avec l’aide d’un travailleur social du CLSC, se trouver de toute urgence un nouveau lieu où vivre. Mais avec la crise du logement qui sévit partout au Québec, on ne trouve pas d’appartement qui lui convienne, à un prix qu’elle est capable de payer.

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Depuis ses problèmes de santé, en 2022, Anne-Marie Jobin est confinée à son lit.

Confinée à son lit, quasi prisonnière d’un appartement jonché de boîtes à moitié faites, Anne-Marie Jobin attend, dans l’angoisse, de trouver un toit. « Je suis une victime de la crise du logement, s’exclame-t-elle. Il y a un gros problème, partout au Québec. Ce n’est pas juste moi qui l’ai, le problème ! »

Des démarches faites « dans les règles »

Le propriétaire de l’immeuble où habite Mme Jobin est la firme YK Realties, qui a son siège social à Outremont. La hausse de loyer transmise à Mme Jobin reflète « des travaux importants » réalisés dans les aires communes de l’immeuble, indique le gérant de l’immeuble, Zev Lowy, qui plaide que toutes les démarches du propriétaire ont été faites « dans les règles ».

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L’immeuble de Greenfield Park où habite Anne-Marie Jobin appartient à la firme YK Realties.

« Nous avons accepté que la locataire ne paie pas la hausse de loyer au cours des derniers mois. On essaie de l’aider, et on procède toujours par l’entremise de son travailleur social », ajoute-t-il.

Je n’ai aucune intention de l’évincer, au contraire, j’essaie de la joindre pour trouver une solution. Nous sommes de bonne foi, nous ne lui voulons aucun mal. Personne ne veut qu’elle se retrouve à la rue.

Zev Lowy, gérant de l’immeuble, à propos d’Anne-Marie Jobin

De son côté, Mme Jobin nous indique que ses relevés bancaires montrent qu’elle a toujours payé un loyer allant de 1010 à 1080 $ depuis le mois de juillet 2023. Le dernier mois à 830 $ est le mois de juin dernier.

« On ne trouve absolument rien »

Un dossier a d’ailleurs été ouvert au Tribunal administratif du logement (TAL) en juillet par le père de la locataire, René Jobin. Ce dernier, qui a repris contact avec sa fille il y a un an et demi, est révolté par les conditions dans lesquelles elle doit vivre. Il est allé plaider sa cause devant le TAL mercredi après-midi.

À cause de son séjour à l’hôpital, son bail est tombé entre deux chaises. Son appartement est dans un état lamentable, et elle est clouée au lit sept jours sur sept.

René Jobin, père d’Anne-Marie Jobin

Le travailleur social du CLSC affecté à son dossier depuis deux mois a fait plusieurs démarches pour lui trouver un nouveau toit, témoigne Anne-Marie Jobin. « Mais on ne trouve absolument rien. On s’est fait claquer la porte au nez à chaque fois. »

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Le logement d’Anne-Marie Jobin

Nous avons tenté de parler au travailleur social avec l’accord de Mme Jobin, mais le CISSS de la Montérégie-Centre s’est borné à répondre par courriel qu’il lui était impossible de commenter ce cas précis.

« Dans le contexte que vous décrivez, un usager suivi par le soutien à domicile du CISSS pourra être accompagné dans ses démarches pour se trouver un nouveau logement, confirme Martine Lesage, porte-parole du CISSS. Nos intervenants sociaux travaillent alors en étroite collaboration avec l’usager. Ils peuvent faire le lien auprès des organismes d’aide au logement afin de trouver des solutions ou fournir des références à l’usager. Ils vont expliquer aux usagers les démarches qu’ils doivent entreprendre et suivent de près l’évolution des démarches entreprises par la personne. »

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Des boîtes à moitié faites sont dispersées partout dans le logement d’Anne-Marie Jobin, qui attend de se trouver un nouveau toit.

En attendant, les préposés et infirmières du CLSC viennent quatre fois par jour pour aider Mme Jobin dans son quotidien. La femme est incontinente, prend une vingtaine de pilules par jour, et, depuis son hospitalisation, a du mal à faire elle-même ses transferts dans son fauteuil roulant. Des religieuses qui habitent à proximité sont venues l’aider à faire des boîtes, en vue de son départ.

Cette hausse de loyer, ce départ obligé, c’est le ciel qui lui tombe sur la tête, résume Anne-Marie Jobin. « Être évincée… jamais je n’aurais pensé vivre ça. »