Monique Simard, vice-présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) de 1983 à 1991, et Lorraine Pagé, présidente de la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ) de 1988 à 1999, ont été aux premières loges de nombreuses négociations dans le secteur public. Elles font part de leurs réflexions sur ces décennies, sur la création des fronts communs et sur la situation actuelle.

1981-1982 : drame national

Monique Simard parle de « drame national » en se rappelant les négociations de 1981-1982, qui se sont terminées avec l’adoption de lois spéciales forçant le retour au travail – et une ponction salariale pour les employés de l’État. « On en vit encore les séquelles », dit-elle.

PHOTO PIERRE LALUMIÈRE, ARCHIVES LA PRESSE

Monique Simard et Gérald Larose, alors vice-présidente et président de la CSN, en 1984

Alors au début de son deuxième mandat, le Parti québécois fait face à une crise économique majeure avec une hausse fulgurante des taux d’intérêt, un taux de chômage élevé et des fermetures d’entreprises à la chaîne.

« Dans ce contexte très particulier, on s’est retrouvés avec des demandes patronales, résume celle qui était négociatrice et responsable du dossier de la condition féminine à la CSN. C’est très difficile pour un mouvement syndical. Normalement, on arrive, on négocie, on en demande plus pour améliorer nos conditions de travail. Mais là, nous étions dans une autre dynamique. »

L’impact de cette période sur le mouvement syndical a été « extrêmement douloureux » et clivant, ajoute Mme Simard.

Une décennie de déprime

Les 11 années de son passage à la présidence de la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ) ont été marquées par un climat morose, note Lorraine Pagé.

« J’ai traversé des années de profonde déprime », dit-elle.

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Lorraine Pagé, présidente de la CEQ de 1988 à 1999, en 1997

La décennie 1990 a été très difficile. D’abord parce que le gouvernement s’est mis dans une logique de revoir le régime de négociations, de prendre tous les moyens pour restreindre l’exercice du droit de grève, de réviser les priorités de l’État et le financement des services publics.

Lorraine Pagé, présidente de la CEQ de 1988 à 1999

L’employeur a aussi pris goût aux lois spéciales. « De 1982 jusqu’à la fin des années 1990, on a pratiquement eu des lois spéciales, des décrets, des demandes de révision à la baisse de coûts de main-d’œuvre à chaque négociation », dit Mme Pagé, qui a aussi dirigé l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal de 1985 à 1988.

PHOTO PIERRE MCCANN, ARCHIVES LA PRESSE

Les présidents des trois grandes centrales syndicales formant le front commun de 1999 : Monique Richard, de la CEQ, Henri Massé, de la FTQ, et Marc Laviolette, de la CSN

Échaudés par ce qui s’est passé en 1982, les travailleurs ont peiné à se serrer les coudes. « La mobilisation était très difficile. Les gens étaient hantés par toutes ces lois spéciales, poursuit Mme Pagé. Pendant près de dix ans, on ne réussissait pas à avoir de mandats de grève. »

Toujours bon, un front commun ?

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Grande manifestation des syndicats du front commun à Montréal, en 2015

Oui, selon Monique Simard. « Il vaut toujours mieux être uni que ne pas l’être, résume-t-elle. Car la règle de diviser pour régner est toujours la même. Et l’employeur essaie de créer un précédent avec un groupe. » Autrement dit, l’employeur essaie de s’entendre avec le maillon le plus faible, puis d’imposer les mêmes conditions aux autres groupes.

Pourquoi n’y en a-t-il pas toujours ?

« Notamment en raison du contexte général, estime Lorraine Pagé. Lorsqu’on est dans une période d’adversité comme celle des années 1990, alors que les demandes de l’employeur en matière de récupération sont très importantes et que les gens sont démotivés, il y a un repli sur soi. Les gens ont l’impression que s’ils sont seuls, ils ont plus de chances de faire valoir leurs points spécifiques. De plus, certains syndicats, comme les fonctionnaires et les infirmières, ont quitté les grandes centrales pour créer des syndicats indépendants. Ils voulaient mener leur propre lutte. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation des membres de la FIQ, le 8 novembre

Mais attention, ajoute-t-elle, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de front commun qu’il n’y a pas de canaux de communication entre syndicats. « Les mécanismes de coordination existent toujours. »

Que dire du front commun de 2023 ?

Monique Simard et Lorraine Pagé estiment que les conditions de travail des syndiqués du secteur public se sont dégradées et qu’il faut redresser la barre.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Monique Simard, vice-présidente de la CSN de 1983 à 1991, à propos des mandats actuels, en 2020

Des votes de grève à 95 %, je n’ai jamais vu ça. Un vote aussi fort est inédit.

Monique Simard, vice-présidente de la CSN de 1983 à 1991, à propos des mandats actuels

« Les conditions de travail se sont considérablement détériorées depuis 40 ans. Je ne parle pas des salaires ; c’est autre chose. On a une dévalorisation et une désertion du secteur public. Par exemple, les gens qui quittent le milieu hospitalier pour aller en clinique privée. »

PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation du front commun, en 1999

« Les syndicats sont le fer de lance de ce qui se passe dans la société, dit Lorraine Pagé, qui espère que le gouvernement entendra les échos d’un ras-le-bol collectif. Il n’y a pas que les syndicats qui disent que ça ne va pas bien. On l’entend dans la population. »

Des gains au-delà d’une convention collective

Les deux anciennes syndicalistes estiment enfin que des gains syndicaux peuvent avoir des retombées sur l’ensemble d’une société.

« De grandes négociations comme celles dans le secteur public constituent des occasions exceptionnelles de faire avancer de grands dossiers sociaux, affirme Monique Simard. Prenons les congés de maternité. Aujourd’hui, ils sont prévus dans des lois. Mais à l’époque, on les négociait à la pièce. Lorsqu’on négocie avec succès pour un grand groupe comme celui du secteur public, on crée un modèle qui fait boule de neige. Et ça, c’est extrêmement valorisant. »