Les infirmières de la Mauricie et du Centre-du-Québec poursuivront seules, ce samedi, la grève entamée cette semaine par les travailleurs du secteur public afin de dénoncer une mesure mise en place par leur employeur et qu’elles craignent de voir s’étendre à la province.

« Je rentrais le matin et j’avais la peur au ventre en pensant au moment où j’allais être envoyée [travailler] en CHSLD. J’avais peur de faire des erreurs par rapport à la santé des patients, de perdre mon permis. Je n’en dormais pas la nuit », raconte l’infirmière clinicienne spécialisée en santé au travail Jacynthe Milot.

Pour elle comme pour plusieurs de ses collègues, une nouvelle mesure instaurée en début d’année au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ) a eu l’effet d’une bombe. Après y avoir travaillé pendant 18 ans, elle a récemment remis sa démission.

La mesure en question, annoncée en février dernier puis déployée à partir de mars, vise à atténuer la pression dans les secteurs où les besoins sont les plus criants, principalement ceux ouverts en permanence, indique le CIUSSS MCQ.

Pour ce faire, les infirmières sont appelées à aller prêter main-forte dans ces secteurs au moins une fin de semaine sur trois. Le CIUSSS indique que les infirmières ne sont pas appelées à passer « d’une mission à une autre », c’est-à-dire qu’elles sont envoyées, en principe, dans des secteurs qui concordent avec leur expertise.

« Quelqu’un qui est en santé mentale n’ira pas en gériatrie, au niveau des personnes âgées, mais pourrait aller dans un secteur apparenté à la psychiatrie », explique le conseiller aux communications Guillaume Cliche.

Des effets catastrophiques

Mais des infirmières œuvrant en santé préventive, c’est-à-dire celles qui travaillent en clinique de dépistage ou en vaccination, ont été associées à un CHSLD, affirme de son côté le Syndicat des professionnelles en soins de la Mauricie et du Centre-du-Québec, affilié à la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ).

Or, cette façon de faire a eu des effets catastrophiques, déplore sa présidente par intérim, Patricia Mailhot.

Après 20 ans [d’expérience dans leurs milieux], [des infirmières œuvrant en santé préventive] sont complètement déstabilisées. Ça fait 20 ans qu’elles n’ont pas donné de soins nécessairement à des personnes âgées.

Patricia Mailhot, présidente par intérim du Syndicat des professionnelles en soins de la Mauricie et du Centre-du-Québec

Au moins 200 des 850 infirmières travaillant à Drummondville (le premier endroit où la mesure a été implantée) seraient ainsi parties à la retraite de façon hâtive ou auraient démissionné depuis le début de l’année, comme l’a fait Jacynthe Milot.

Le CIUSSS MCQ explique avoir dû recourir à cette mesure pour s’assurer de maintenir la qualité des services et éviter l’exode du personnel dans les secteurs les plus tendus. « On observait que la pression était encore très, très grande dans des secteurs essentiels, comme ceux qui sont 24/7 », explique le conseiller aux communications Guillaume Cliche.

Ce dernier souligne que « certains facteurs positifs » ont été observés depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle organisation du travail, notamment une diminution des heures supplémentaires obligatoires travaillées par les infirmières.

« Mais on demeure prudent en lien avec cette analyse puisque d’autres mesures ont pu y contribuer », ajoute-t-il en citant également une diminution des absences dues à la COVID-19.

« La pointe de l’iceberg »

Cette nouvelle organisation du travail a été implantée dans le respect de la convention collective, indique le CIUSSS MCQ. Un fait que ne nie pas la représentante syndicale Patricia Mailhot, qui juge toutefois qu’elle s’appuie sur des clauses datant d’une époque où le réseau était plus petit.

Et à l’heure où le premier ministre du Québec, François Legault, propose de bonifier son offre aux travailleurs du secteur public en échange d’une plus grande « flexibilité », Patricia Mailhot met en garde les infirmières des autres régions.

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« Ce qui se passe en Mauricie–Centre-du-Québec, c’est la pointe de l’iceberg », dit-elle en affirmant que le ministère de la Santé et des Services sociaux entend étendre cette mesure à l’ensemble du Québec. « Ils veulent faire de grosses unités, prendre les infirmières qui ont de l’expérience et les promener partout pour boucher des trous. »

Les membres du Syndicat des professionnelles en soins de la Mauricie et du Centre-du-Québec ont ainsi voté deux journées de grève supplémentaires pour dénoncer l’implantation de cette mesure. La première a lieu ce samedi.

En grève cette semaine puisqu’elle travaille maintenant pour un centre de services scolaire, Jacynthe Milot a pu croiser plusieurs de ses anciennes collègues. Elle est soulagée par son changement d’employeur. « C’est un autre beau milieu et on y est mieux traité », souligne-t-elle.