La prestigieuse revue américaine Sports Illustrated aurait publié des articles générés par l’intelligence artificielle en créant de toutes pièces de faux journalistes, a révélé le média numérique Futurism lundi. « Ça s’est passé aux États-Unis, mais ça pourrait se passer au Québec », s’inquiète Éric-Pierre Champagne, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

Rien ne laisse croire que le journaliste Drew Ortiz de la revue Sports Illustrated n’existe pas, explique l’article de Futurism. La courte biographie en ligne de M. Ortiz le décrit comme un homme qui a « passé la majorité de sa vie dehors », et qui ne passe pas une fin de semaine sans partir « en randonnée, en camping ou dans la cour de la ferme de ses parents ».

Or, la photo de ce journaliste est aussi en vente sur un site d’images générées par l’intelligence artificielle, affirme la journaliste de Futurism Maggie Harrison. Il y est alors décrit comme un « jeune homme blanc, neutre, avec de courts cheveux bruns et des yeux bleus ».

En d’autres mots, ce journaliste a été inventé de toutes pièces, relève la journaliste, citant des sources anonymes au sein de Sports Illustrated. Et les articles qu’il a publiés ont tout l’air d’avoir été générés par l’intelligence artificielle.

Il ne serait pas le seul. Plusieurs autres profils de journalistes et articles générés par l’intelligence artificielle ont été débusqués par Futurism dans les publications de Sports Illustrated. D’autres publications éditées par The Arena Group, telles que le média financier TheStreet, auraient aussi publié des articles sous de faux profils journalistiques, affirme la reporter.

Sports Illustrated, fondé en 1954, est l’un des magazines sportifs américains les plus importants. Il a remporté des prix prestigieux à plusieurs reprises, dont le National Magazine Award for General Excellence.

Depuis 2019, The Arena Group (autrefois Maven Inc.) a obtenu un contrat de 10 ans en tant qu’éditeur du magazine. Questionnée par la journaliste de Futurism, l’entreprise n’a pas répondu. À la suite des questions, les faux profils de journalistes en ligne ont toutefois été retirés, affirme Maggie Harrison.

Rien dans ces articles ne prévenait le lecteur qu’il s’apprêtait à lire du contenu généré par l’intelligence artificielle, selon Futurism.

« Horrifiés »

Le syndicat de Sports Illustrated a réagi sur X lundi à la suite de la parution de l’article, se disant « horrifié » par le contenu. « Si ces pratiques sont vraies, elles violent tout ce en quoi on croit comme journalistes », écrit le syndicat, qui signe sa note « les humains du syndicat de Sports Illustrated ».

« Nous demandons des réponses et de la transparence de la part des gestionnaires de The Arena Group, pour connaître ce qui a été publié sous le nom de Sports Illustrated, poursuit le syndicat. Nous demandons à l’entreprise d’adhérer aux principes journalistiques standards, y compris de ne pas diffuser d’histoires écrites par des ordinateurs et publiées par de fausses personnes. »

Sur le réseau social X, un porte-parole de The Arena Group a réagi en affirmant que les articles décrits par Futurism venaient d’une entreprise externe, AdVon Commerce. « AdVon nous a assuré que les articles en question étaient écrits et édités par des humains, écrit The Arena Group. Selon AdVon, leurs écrivains, réviseurs et chercheurs créent et sélectionnent du contenu en suivant des procédures contre le plagiat et contre les générateurs d’intelligence artificielle. Cependant, AdVon utilise parfois des pseudos ou des noms de plume dans certains articles pour protéger l’identité des auteurs – des façons de faire que nous condamnons. »

The Arena Group a affirmé poursuivre son enquête interne concernant AdVon et avoir entre-temps mis fin au partenariat.

« Le public a été dupé »

Cet article de Futurism expose « les dérives qui peuvent se produire avec l’intelligence artificielle », estime le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, Éric-Pierre Champagne.

Des dérives « inquiétantes », particulièrement dans un contexte où les fausses nouvelles sont déjà omniprésentes, rappelle-t-il. « ​​On va peut-être se retrouver dans un monde où il va être de plus en plus difficile de distinguer les vraies nouvelles des fausses nouvelles. »

Et si le phénomène apparaît aux États-Unis, il risque d’être importé au Québec, soutient le président.

Dans le cas de Sports Illustrated, le fait que les lecteurs n’aient pas été informés du type de contenu qu’ils lisaient équivaut à des mensonges, selon lui.

Le public a été dupé, et c’est inquiétant parce que, à l’échelle mondiale, il y a une crise de confiance envers les institutions, y compris les médias.

Éric-Pierre Champagne, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec

Générer et publier du contenu grâce à l’intelligence artificielle peut certes être rentable, étant donné qu’il n’y a pas de journalistes à rémunérer. Cependant, se faire prendre vient avec un risque important : perdre sa crédibilité, estime-t-il.

« Quand, comme publication, tu n’as plus de crédibilité dans ton marché, ou auprès de tes lecteurs, c’est le début de la fin. »

Rappelons que La Presse s’est dotée ces derniers mois de lignes directrices contraignantes quant à l’utilisation de l’intelligence artificielle, qui stipulent notamment qu’il « est interdit d’utiliser des outils externes d’IA générative afin de produire des textes, photos, vidéos ou images destinés à publication ».

Lisez les lignes directrices de La Presse