(Mont-Laurier) « On vit dans l’inconnu. » La rupture potentielle d’une digue dans les Hautes-Laurentides plonge dans le néant des centaines d’évacués tandis que Québec juge « impossible » de leur garantir une date de retour à la maison.

« Les seules informations qu’on a, c’est qu’on ne sait pas quand on va retourner. Si la digue a pété, on ne sait rien », dit en soupirant Jacinte Gagnon, une résidante de Lac-des-Écorces rencontrée sur le bord enneigé de la route 117, quelques instants après s’être fait interdire l’accès à sa maison par des policiers.

Comme plusieurs des 700 évacués – selon les chiffres fournis mardi par la Sécurité publique – dont le train-train quotidien a été suspendu par une évacuation d’urgence dimanche, elle s’inquiète du bien-être de ses animaux laissés derrière, y compris plusieurs poules.

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Jacinte Gagnon, résidante évacuée de Lac-des-Écorces

« Je veux pas attendre deux-trois jours, ils vont peut-être mourir, surtout les lapins », souffle-t-elle, ajoutant « vivre dans l’inconnu ». Un sentiment partagé par de nombreux résidants de Lac-des-Écorces, Chute-Saint-Philippe et Lac-Saguay.

Dimanche dernier, en fin de soirée, le ministère de la Sécurité publique a recommandé à ces trois municipalités d’évacuer leurs résidants riverains de la rivière Kiamika après avoir constaté des écoulements d’eau au pied de la digue Morier.

Cet ouvrage, situé à plusieurs kilomètres en amont de la rivière, retient le réservoir Kiamika, une immense étendue d’eau de l’équivalent de 100 000 piscines olympiques. La rupture de la digue, une option qui n’est toujours pas écartée par les autorités, inonderait 2000 bâtiments.

« Impossible » d’établir une date de retour

De passage dans la région mardi pour y rencontrer les évacués et les intervenants locaux, le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a refusé de s’avancer, jugeant qu’il était « impossible » d’établir une potentielle date de réintégration.

« Ce serait inadéquat de donner une date de retour dans X nombre de jours. On ne sait pas ce qui pourrait arriver », a-t-il martelé, en conférence de presse.

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Visite du ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, qui a rencontré les bénévoles de la Croix-Rouge au centre sportif de Mont-Laurier.

Quant à la suite des choses, « le sentiment d’urgence est important », reconnaît François Bonnardel, mais rappelle que « les ingénieurs sont sur le terrain […] pour trouver des pistes de solution et être capables d’assurer la pérennité de ce barrage, pas juste à court terme, mais à moyen et long termes ».

Mardi, des travaux ont été complétés pour rendre carrossable un chemin d’accès jusqu’à la digue autrefois accessible seulement en motoneige l’hiver, a détaillé, à ses côtés, l’ingénieur à la Direction générale des barrages du ministère de l’Environnement Martin Ferland.

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La rupture de la digue, une option qui n’est toujours pas écartée par les autorités, inonderait 2000 bâtiments, dont une partie du village de Lac-des-Écorces.

Une nouvelle station hydrométrique sera installée en aval de la digue pour suivre de façon « plus serrée » le débit de la rivière Kiamika et ainsi raccourcir le temps de réaction, advenant une montée soudaine du niveau de l’eau.

La prochaine étape consistera à renforcer la structure en remblayant sa base, une opération qui devrait débuter cette fin de semaine ou au plus tard la semaine prochaine, a-t-il indiqué.

En attendant, le très large périmètre évacué est surveillé étroitement par la Sûreté du Québec, qui a dépêché plus de 70 agents sur place pour prévenir les vols dans les résidences évacuées.

Dans les confins des forêts enneigées des Hautes-Laurentides, la digue Morier restait inaccessible au grand public mardi.

De rares images captées par un pilote de la région mardi montraient quelques pick-up stationnés à l’extrémité ouest de l’ouvrage, seule présence humaine à travers l’étendue blanche. D’autres, prises plus tôt et diffusées par le ministère de l’Environnement mardi, permettent de constater la présence de quelques trous d’eau qui percent la surface à sa base. Un indice banal pour des yeux néophytes, loin de présager du drame qui pourrait survenir.

Une détresse palpable

Au centre sportif Jean-Lesage, à Mont-Laurier, la détresse était palpable. Des dizaines de bénévoles accueillaient les résidants évacués venus s’enregistrer à la Croix-Rouge.

Pour d’autres, l’enjeu est double : perdre leur maison et leur travail.

« Comme c’est là, on ne peut même pas retourner sur place pour nourrir les animaux », déplore le propriétaire d’un garage à Lac-des-Écorces, Richard Veaudry, au chômage et à la rue à la suite de l’évacuation d’urgence dimanche soir.

« Mon garage, il n’y a pas vraiment de danger, mais si la digue devait sauter, je perdrais ma maison », dit-il, aux côtés de ses deux adolescents.

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Le maire de Chute-Saint-Philippe, Normand Saint-Amour

« De ne pas avoir de date, c’est ça qui est le plus dur à gérer », témoigne pour sa part le maire de Chute-Saint-Philippe, Normand St-Amour, dont le visage, aux côtés du ministre François Bonnardel, révélait la détresse vécue durant les derniers jours.

Une détresse d’autant plus dure pour cet homme qui vit à Chute-Saint-Philippe sur les terres de ses arrière-grands-parents, un endroit qu’il connaît depuis qu’il est tout jeune pour s’y être rendu chaque été à l’occasion des vacances scolaires.

« On a des personnes à la santé fragile pour qui je vois que c’est dommageable de vivre ainsi dans l’incertitude », explique-t-il, l’émotion dans la voix. Sans s’avancer à savoir quand et surtout si ses citoyens pourront éventuellement réintégrer leurs demeures, il admet avoir lui-même conseillé à ses parents de se rendre chez un de ses frères « et de penser qu’on va passer Noël là ».