Fax, numérisation, heures ouvrables, manque de communication… Une kyrielle de facteurs ont concouru à ce que le suivi psychiatrique rapide demandé pour Amélie Champagne ait abouti seulement 13 jours plus tard, bien après son suicide, a-t-on entendu à l’enquête publique mercredi.

Ce qu’il faut savoir

  • L’enquête publique sur le suicide d’Amélie Champagne, qui a consulté deux urgences psychiatriques dans la dernière semaine de sa vie, a débuté lundi, à Montréal.
  • Un suivi rapide en psychiatrie, dans un délai de 24 à 72 heures, avait été annoncé à Mme Champagne lors de son passage à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas. Il est arrivé 13 jours plus tard, ont dénoncé ses parents lors des audiences publiques.
  • Une lettre de relance a été envoyée à Mme Champagne le 20 septembre 2022, bien après son décès et son passage au Douglas, a-t-on appris à l’enquête publique mercredi.

« C’est un peu surprenant, le délai dans lequel il n’y a rien qui s’est fait », a relevé MPierre-Olivier Bilodeau, le procureur aux enquêtes publiques qui assiste la coroner, MJulie-Kim Godin.

Il a fallu près d’une heure et deux témoins pour retracer le parcours de la demande de suivi en psychiatrie faite pour Amélie Champagne le soir du 6 septembre 2022, lors de son passage à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, à Montréal.

Mme Champagne avait été amenée au Douglas par sa mère, après qu’elle eut demandé à son frère de lui montrer comment faire un nœud avec ses cordes d’escalade. La jeune femme a refusé l’offre de rester pour la nuit, mais a été recommandée pour un suivi rapide en psychiatrie. « La plus haute priorité possible, ça veut dire P1, un service rendu en 24 à 72 heures », a expliqué le psychiatre de garde ce soir-là, le DEduardo Chachamovich, à l’audience publique mardi.

La demande a été faxée (télécopiée) au guichet d’accès en santé mentale adulte (GASMA) le lendemain, le 7 septembre, peu avant 15 h et vue le 8 septembre par une infirmière responsable. Celle-ci a toutefois été informée que Mme Champagne était en observation au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS). Lorsque l’infirmière a revérifié, le 9 septembre au matin, la jeune femme était toujours au CHUS.

« Donc j’ai gardé le dossier en main […] pour l’appeler la journée où elle sortait de l’hôpital », a témoigné l’infirmière Sophie Bellefeuille mercredi.

Amélie Champagne a finalement quitté le CHUS ce jour-là, mais l’infirmière du GASMA n’en a pas été informée.

Le fax de Sherbrooke est arrivé à 17 h 36 ce vendredi-là, donc après les heures d’ouverture du guichet d’accès. Et le lundi matin suivant, le 12 septembre, cette information a été « numérisée directement dans le dossier » au lieu d’être remise « en mains propres » à Mme Bellefeuille, de sorte que l’infirmière n’a pas été mise au courant.

Ce que Mme Bellefeuille ignorait aussi, c’est qu’Amélie Champagne était déjà morte, puisqu’elle s’était suicidée le 11 septembre à Montréal.

Communication laborieuse

Le jeudi 15 septembre, étonnée de la durée du séjour de Mme Champagne au CHU de Sherbrooke, l’infirmière Sophie Bellefeuille a demandé à une collègue du GASMA de contacter directement la patiente.

La travailleuse sociale Cynthia Leblanc, qui était l’intervenante de garde ce jour-là, a donc composé le numéro de Mme Champagne et lui a laissé un message. Le 20 septembre, n’ayant pas de nouvelles, Mme Leblanc suit les « standards de procédure » et envoie une lettre de relance au domicile d’Amélie Champagne, qui vivait avec ses parents.

« On parle encore de fax : il faut que quelqu’un le faxe, que quelqu’un aille chercher ce fax et vous l’amène », a commenté la coroner d’un ton empathique. « Qu’est-ce qu’on peut faire pour réduire ces délais ? »

Au niveau des communications, c’est parfois très, très laborieux, dans le domaine de la santé, de réussir à parler à quelqu’un.

L’infirmière Sophie Bellefeuille

« Du moment qu’on sort un peu de notre CIUSSS [Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux] et qu’on fait affaire avec un CIUSSS différent, les barrières sont différentes. Des fois, on va essayer d’appeler [et] on n’a pas de retour d’appel, on n’a pas le bon numéro de téléphone. »

Améliorer les communications entre les établissements et faciliter l’accès à leurs dossiers, « ça pourrait être très aidant », a ajouté Mme Leblanc.

Ces deux professionnelles de la santé travaillent au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Elles ont fait ces commentaires à titre personnel, et non pas au nom de leur établissement, ont-elles souligné.

« Je ne pense pas que c’est normal, en 2023 […], de se faire répondre : “Cette personne-là ne prend pas d’appels, vous devez lui envoyer un fax” », a lancé Mme Bellefeuille.

BESOIN D’AIDE ?

Si vous avez besoin de soutien, si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour un de vos proches, contactez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553). Un intervenant en prévention du suicide est disponible pour vous 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Vous pouvez aussi consulter le site commentparlerdusuicide.com