Les enseignantes qui ont été retirées des écoles parce que leur travail était trop dangereux n’ont plus droit à leurs prestations de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) en raison de la grève.

Dans environ deux mois, Jenyfer Hervieux va accoucher de son premier enfant. Comme elle travaille auprès d’élèves atteints d’un trouble du spectre de l’autisme avec déficience intellectuelle, elle n’a pu entamer l’année scolaire 2023-2024.

« Le principal danger, ce sont les agressions. On se fait tirer les cheveux, grafigner, taper, etc. Ça peut aller en progressant. On subit des agressions physiques presque chaque jour », illustre la femme de 34 ans.

Mais elle ajoute du même souffle qu’elle ne veut surtout pas « diaboliser les élèves ».

« C’est trop risqué pour une femme enceinte d’être dans ce milieu-là. J’ai choisi ce métier, je les aime d’amour et je les adopterais tous », dit-elle en riant.

Comme d’autres femmes enceintes (les témoignages sont nombreux sur les réseaux sociaux), elle a reçu au début du mois une lettre de la CNESST lui enjoignant de rembourser les versements qui ont été faits dans la semaine du 23 au 30 novembre, soit 921,36 $.

Il s’agit de la première semaine de grève de la Fédération autonome de l’enseignement, dont les 66 500 membres sont en grève générale illimitée depuis le 23 novembre et sans revenus.

La CNESST explique que pour bénéficier du programme « Pour une maternité sans danger », les enseignantes doivent « remplir certaines conditions d’admissibilité, dont être en présence de dangers attestés dans le Certificat médical visant l’affectation ou le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite ».

Son porte-parole, Antoine Leclerc-Loiselle, explique que le versement de l’indemnité « peut être suspendu temporairement si pendant une période de plus de 7 jours consécutifs, la travailleuse n’est plus exposée au danger identifié au Certificat médical ».

Une grève ou un lock-out font partie des raisons pour lesquelles les indemnités peuvent cesser d’être versées, tout comme la période estivale, quand les écoles sont fermées.

C’est ce que se sont fait expliquer plusieurs enseignantes : comme il n’y a plus de danger immédiat parce qu’elles ne sont pas à l’école, les versements cessent.

« Toutes dans le même bateau »

« Je crois que nous sommes toutes dans le même bateau ! », écrit sur Facebook une professeure enceinte dont les revenus ont été coupés.

Mais combien sont-elles ?

La CNESST nous répond qu’elle ne peut ventiler les données selon l’affiliation syndicale.

Au centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys, on nous répond que 26 femmes sont dans cette situation actuellement.

Le Centre de services scolaire de Montréal dit qu’il ne peut pas répondre à cette question parce qu’il est impossible d’« extraire ces données » en raison de la grève.

Il a donc fallu nous tourner vers le syndicat regroupant ses enseignants, l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal, où on dit avoir reçu, depuis le début de l’année 2023-2024, une quarantaine de lettres du centre de services confirmant un tel retrait. On ajoute que ces données ne sont peut-être pas exactes puisqu’il arrive que le CSS oublie d’aviser le syndicat de ces retraits préventifs.

Les enseignants affiliés à la FAE sont sans salaire depuis le 23 novembre dernier.

« Tel est aussi le cas des enseignantes qui se trouvaient en retrait préventif au déclenchement de la grève. Ce contexte peut être anxiogène pour les enseignantes enceintes qui, comme leurs collègues, sont sans revenu pour une 16e journée consécutive », dit Catherine Beauvais-St-Pierre, présidente de l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal. Elle appelle le gouvernement à négocier « sérieusement ».

Les femmes « écopent »

Les chiffres le disent, la grève qui a cours actuellement dans le secteur public est principalement une affaire de femmes. Elles représentent les trois quarts des profs membres de la FAE. Chez les syndiqués du front commun, cette proportion monte à 80 %.

Se trouver un revenu d’appoint, comme d’autres collègues le font en ce moment pour subvenir à leurs besoins ? Avec son ventre rond, Jenyfer Hervieux croit que ce serait difficile.

C’est écrit dans mon front que je suis enceinte de presque sept mois ! C’est contraignant, même si je sais que techniquement, on n’est pas censées être stigmatisées pour ça.

Jenyfer Hervieux

L’enseignante relate qu’à la CNESST, on lui a conseillé de se prévaloir plus tôt du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP).

« Il faudrait que j’hypothèque mon congé de maternité, que je veux passer avec mon enfant », dit-elle. On l’a aussi dirigée vers les banques alimentaires.

« D’un point de vue féministe, ce sont encore une fois les femmes, cette fois-ci enceintes, qui écopent », dit-elle.

Elle s’estime néanmoins « chanceuse » : son conjoint est un ancien enseignant qui fait partie des statistiques de désertion de la profession, selon lesquelles le quart d’entre eux quittent le métier avant cinq ans. Il a donc un autre travail et n’est pas en grève actuellement.

L’enseignante insiste et se dit pleinement solidaire du mouvement de grève, même si elle n’est pas sur le trottoir avec ses collègues : elle a voté pour la grève générale illimitée.