Appareils électroniques, téléphones cellulaires, cartes SIM, clés USB, montres de luxe, documents bancaires, fortes sommes d’argent, bijoux à l’effigie des Hells Angels et des Marauders de Montréal ; les enquêteurs de la Sûreté du Québec pourront garder au moins jusqu’en juin prochain des dizaines d’articles saisis ces derniers mois chez des individus faisant l’objet d’une importante enquête, dont des membres parmi les plus influents du crime organisé.

C’est ce que le juge de la Cour du Québec Antoine Piché a ordonné dans une décision écrite de 28 pages vendredi.

Les résidences de ces individus, parmi lesquels on retrouve notamment les Hells Angels de la section de Montréal Martin Robert, Stéphane Plouffe, Rob Barletta, Michel Lamontagne et Gilles Lambert, ont été perquisitionnées entre mars et juin, dans le cadre d’une enquête de l’Escouade nationale de répression du crime organisé (ENRCO) baptisée Ravager et qui porte sur le trafic de stupéfiants.

  • Martin Robert, le soir de son mariage, le 1er décembre 2018

    PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

    Martin Robert, le soir de son mariage, le 1er décembre 2018

  • Stéphane Plouffe

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    Stéphane Plouffe

  • Michel Lamontagne

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    Michel Lamontagne

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Un autre suspect, dont la résidence avait également été visitée par les policiers, Francesco Del Balso, a été assassiné par balle à Montréal en juin dernier.

Le dentifrice dans le tube

Depuis que la Cour suprême a prononcé en 2016 l’arrêt Jordan, qui limite la durée des procédures judiciaires, les enquêteurs multiplient les perquisitions en cours d’enquête avant de procéder à l’arrestation des suspects, et ce n’est qu’à partir de ce moment que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) dépose des accusations.

Or, cette façon de faire oblige la poursuite à présenter régulièrement en cour des requêtes pour demander des prolongations de confiscation de biens saisis, pour permettre aux policiers de poursuivre leurs enquêtes, qui sont souvent longues et complexes en matière de crime organisé.

Dans le cas de Ravager, la poursuite a présenté sa première requête en prolongation à l’automne dernier et a choisi de demander dès le départ un long délai, soit dix mois supplémentaires.

La poursuite a donc demandé à ce que la période de rétention des biens saisis puisse s’étirer jusqu’en juin prochain. Mais durant des audiences tenues cet automne, les avocats des suspects se sont opposés à la requête des procureurs et ont exigé que la période soit limitée à trois mois.

Ils ont aussi déploré que la déclaration sous serment de l’enquêteur au dossier soit caviardée à 90 %, en disant que cela les empêche de défendre adéquatement les droits de leurs clients et va à l’encontre de l’équité procédurale.

Ils ont aussi demandé de pouvoir contre-interroger l’enquêteur.

« L’enquête en cause en est à l’un des moments où elle est le plus vulnérable et où les torts les plus importants peuvent lui être causés. L’intérêt du public requiert que la nature et l’étendue de celle-ci soient préservées. Lorsqu’une information privilégiée est révélée, le dommage est fait. Il n’est plus possible de revenir en arrière. Comme le veut l’adage, “lorsque le dentifrice est sorti du tube, il est impossible de l’y remettre” », a estimé le juge Piché, en refusant les demandes des avocats.

Une enquête complexe

Quant à la rétention des biens saisis, le juge Piché permet la prolongation de dix mois demandée par la poursuite, justifiant sa décision par la complexité de l’enquête.

Le magistrat mentionne notamment le fait que jusqu’à maintenant, plus de 250 autorisations judiciaires pour, notamment, des entrées subreptices, des ordonnances bancaires, des observations vidéo et de l’écoute électronique ont été délivrées.

Il souligne la saisie de 165 appareils électroniques, pour lesquels les expertises seront longues, de même que « le nombre d’infractions potentielles, dont certaines soulèvent des questions complexes, le haut degré de sophistication des activités criminelles et le nombre important de suspects visés ».

Le juge Piché évoque déjà, pour certains biens saisis, le dépôt de requêtes de type Lavallée visant à examiner les informations obtenues couvertes par le privilège avocat-client, et prévient que ces débats risquent d’être longs.

L’enquête en est encore à ses débuts. Bien que les policiers aient obtenu divers éléments qui tendent à corroborer leurs hypothèses d’enquête, beaucoup de travail reste à accomplir avant d’être en mesure de soumettre un dossier suffisamment complet pour soutenir les procédures envisagées par le requérant [la Poursuite].

Extrait de la décision du juge Antoine Piché

« Le poursuivant jongle avec de nombreux défis avant d’envisager le dépôt d’accusations découlant d’un projet tel que “Ravager” », écrit notamment le juge dans sa décision.

Des Rolex sur un bras de fer

Un seul des individus visés, Rhéal Dallaire, a exigé que tout ce qui a été saisi dans sa résidence lui soit immédiatement remis, dont une douzaine de montres de luxe achetées entre 2012 et 2021, et valant plus de 250 000 $, lit-on dans le jugement.

Mais le juge Piché a également rejeté sa demande. « En l’espèce, considérant les faits révélés jusqu’à maintenant par l’enquête, le Tribunal estime que l’équilibre est actuellement maintenu. »

« Il s’agit d’un vaste projet d’enquête qui vise à s’attaquer à des crimes qui menacent la sécurité publique et ses institutions démocratiques. L’intérêt du public à ce que cette enquête soit menée à terme est sérieux », a conclu le juge.

Dans la décision du magistrat, on apprend également que M. Dallaire a soumis 114 noms pour lesquels le privilège avocat-client a été invoqué.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.