L’ambassadeur du Canada à l’ONU déplore la « destruction de la vie civile » à Gaza et appuie la solution à deux États

(Ottawa) Morts civiles par milliers, déplacement massif de la population gazaouie, destruction des infrastructures civiles : le monde « ne peut laisser passer ce qui est en train d’arriver » à Gaza, s’indigne l’ambassadeur du Canada auprès des Nations unies, Bob Rae.

La semaine dernière, le monde a parlé – plus précisément, 153 des 193 États membres de l’ONU, y compris le Canada – en exigeant « un cessez-le-feu humanitaire immédiat » entre Israël et le Hamas.

Le hic, c’est que la résolution approuvée à l’Assemblée générale n’est pas contraignante. Et les États-Unis et Israël ont voté contre, aux côtés de huit autres nations, et 23 abstentions ont été enregistrées.

Le vote du Canada, qui représentait un changement de position, n’a évidemment pas fait l’unanimité. Dans les rangs libéraux, Anthony Housefather, député de confession juive de Montréal, est de ceux qui ont fustigé la volte-face du gouvernement Trudeau.

« Franchement, c’est la situation sur le terrain qui a persuadé beaucoup de pays, et pas seulement le Canada, à changer leur vote », fait valoir l’ambassadeur Rae en entrevue téléphonique, avec quelques jours de recul.

Au moment de la mise aux voix, l’Allemagne et le Royaume-Unis s’étaient abstenus.

Dans une lettre ouverte commune publiée dimanche dans le Sunday Times, les ministres des Affaires étrangères britannique, David Cameron, et allemande, Annalena Baerbock, ont appuyé l’idée d’un cessez-le-feu, mais seulement s’il est « durable ».

« Nous ne croyons pas que la voie à suivre soit d’appeler dès maintenant à un cessez-le-feu immédiat et généralisé, dans l’espoir qu’il devienne permanent », ont écrit les deux ministres dans la publication britannique.

Le critère de l’immédiateté ne fait donc pas consensus, à en croire leurs mots.

L’ambassadeur Rae, lui, est alarmé : ce qui se joue à Gaza est catastrophique.

On voit le déplacement presque total de la population. Où est-ce qu’ils vont aller ? On ne peut pas continuer avec la destruction totale de l’infrastructure civile qu’on voit.

Bob Rae, ambassadeur du Canada auprès des Nations unies

Allégations de crimes de guerre

La mesure de la riposte israélienne est jugée excessive par certaines organisations telles que Human Rights Watch – lundi, celle-ci a accusé l’État hébreu d’affamer délibérément la population de Gaza, ce qui constituerait un crime de guerre.

Le Canada n’a formulé aucun reproche spécifique à Tsahal en ce qui a trait au respect du droit international, exception faite de la réaction initiale de Justin Trudeau à une attaque dans l’enceinte d’un hôpital de Gaza qui avait d’abord été attribuée à Tel-Aviv.

L’ambassadeur Rae ne s’aventurera pas sur ce terrain lui non plus. Il appartient à la Cour pénale internationale (CPI) de se pencher sur les allégations de crimes de guerre, plaide-t-il : « le Canada ne peut pas tirer ces conclusions ».

Du même souffle, celui qui en connaît un rayon en matière de droits de la personne – il a été l’envoyé spécial du Canada auprès de la Birmanie durant la crise des Rohingya – laisse entendre que Tel-Aviv a dépassé les limites.

« Les Israéliens assurent qu’ils respectent leurs obligations », mais « naturellement, il y aura des enquêtes là-dessus », car « nous voyons bien la destruction de la vie civile, les morts, la destruction des propriétés », signale-t-il.

Le procureur de la CPI, Karim Khan, s’est attelé à la tâche. « Une enquête est en cours [et] nous avançons rapidement, avec vigueur », a-t-il tranché dans une vidéo parue le 3 décembre.

L’enquête portera tant sur les violations commises par les forces israéliennes dans la bande de Gaza que par les Palestiniens lors des attentats perpétrés par le Hamas en Israël le 7 octobre dernier, a-t-il fait savoir.

Report d’un vote au Conseil de sécurité

Profondément divisé sur le dossier israélo-palestinien, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé de repousser de lundi à mardi le vote sur une nouvelle résolution portant sur une cessation des hostilités.

Il y a près de deux semaines, les États-Unis s’étaient prévalus de leur droit de veto à la table du puissant organe onusien afin de bloquer une résolution appelant à un « cessez-le-feu humanitaire immédiat ».

À l’issue du vote, le représentant permanent adjoint de Washington à l’ONU, Robert A. Wood, avait entre autres cité l’absence de condamnation de l’attentat perpétré par le Hamas le 7 octobre dernier comme l’un des motifs derrière le refus américain.

Or, le texte obtenu dimanche par l’Agence France-Presse ne faisait toujours pas mention du groupe terroriste. Si le vote de lundi a été reporté, c’est parce que le libellé de cette nouvelle proposition faisait toujours l’objet d’intenses négociations.

La solution à deux États

Ces négociations ne sont sans doute rien comparativement à celles qu’il faudra entamer un jour ou l’autre pour rétablir une certaine forme de stabilité, à en croire la rhétorique du gouvernement de Benyamin Nétanyahou.

Dans un entretien avec le réseau britannique Sky News, l’envoyée d’Israël au Royaume-Uni, Tzipi Hotolevy, a affirmé qu’il n’y avait « absolument aucune » chance que les deux États puissent coexister.

« S’il n’y a pas une solution à deux États, quelle est l’alternative ? Dites-nous ! », lâche en guise de réaction Bob Rae.

On ne va pas déplacer la population de Gaza dans d’autres pays. On ne va pas recréer la situation de 1948. Absolument pas.

Bob Rae, ambassadeur du Canada auprès des Nations unies

La création de l’État d’Israël, en 1948, a poussé quelque 760 000 Palestiniens à l’exil, un évènement que l’on appelle la « Nakba » (« Catastrophe »).

Des colonies juives ont remplacé des villages palestiniens dans un mouvement d’occupation qui se poursuit aujourd’hui.

Avec l’Agence France-Presse

Pierre Poilievre prend position

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur du Canada

Le chef conservateur, Pierre Poilievre, s’oppose à la résolution qu’a adoptée le Canada aux Nations unies. Car selon lui, ce « cessez-le-feu inconditionnel » stipule « qu’Israël devrait accepter que le Hamas garde les otages », puisque le texte ne fait aucune « mention de la libération des otages détenus par le Hamas ». Le chef de l’opposition a précisé à quelle enseigne il logeait dans une balado du chroniqueur Rex Murphy, du National Post. Le vote canadien à l’ONU a, au contraire, été salué par le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique. Et dans les faits, le texte de la résolution demande la libération « immédiate et inconditionnelle de tous les otages ». Il est toutefois vrai que le Hamas n’y est pas désigné.

Mélanie Marquis, La Presse