L’Accueil Bonneau, qui se bat avec un déficit pour une troisième année consécutive, cessera d’offrir des repas les week-ends à partir du 6 janvier, a appris La Presse. Et la survie de l’ensemble du service alimentaire, essentiel chaque jour pour quelque 400 personnes en situation d’itinérance ou précaire, sera « en péril » dès le mois de février sans financement supplémentaire de Québec.

Ce qu’il faut savoir

  • L’Accueil Bonneau cessera de fournir des repas aux personnes en situation d’itinérance ou précaire les fins de semaine à partir du 6 janvier.
  • Sans aide de Québec, l’ensemble du service alimentaire sera compromis dès le mois de février.
  • L’organisme fait face à une situation financière « très difficile », du jamais vu depuis près de 150 ans.

La direction de l’organisme du Vieux-Montréal, fondé il y a plus de 150 ans, redoute une « catastrophe qui pourrait avoir de graves conséquences pour l’écosystème de la lutte à l’itinérance dans le Grand Montréal ».

Dans une lettre transmise le 18 décembre au ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, et que La Presse a obtenue, l’Accueil Bonneau demande « une solution pérenne à [son] enjeu de financement récurrent et chronique » pour éviter « un bris de service majeur d’ici quelques semaines », soit à partir de février.

La semaine dernière, le ministre Carmant et son collègue Christian Dubé, ministre de la Santé et des Services sociaux, ont chacun accordé un montant discrétionnaire de 25 000 $ « pour maintenir les services alimentaires de l’Accueil Bonneau durant le temps des Fêtes ».

L’organisme utilisera ce financement de 50 000 $ du Ministère pour servir des repas « à raison de 5 jours par semaine plutôt que 7 comme c’était jusqu’ici le cas, ce qui permettra d’étaler dans le temps les sommes que nous vous avez accordées », expliquent dans leur lettre Chantal Fortin, présidente du conseil d’administration de l’Accueil Bonneau, et Fiona Crossling, directrice générale.

Cette cagnotte d’urgence correspond grosso modo à un mois de distribution de repas.

Sans financement supplémentaire, « en plus de priver 400 personnes quotidiennement d’[un] service essentiel et vital, l’Accueil Bonneau devrait alors procéder à la mise à pied de plusieurs employés ».

Un financement « inadéquat »

Jointe au téléphone, Mme Crossling indique que la fin de la distribution de repas les fins de semaine est une décision « déchirante » et de dernier recours.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Fiona Crossling, directrice générale de l’Accueil Bonneau

L’aide alimentaire « est un service essentiel, mais qui ne cadre pas dans l’enveloppe de financement du PSOC [Programme de soutien aux organismes communautaires], déplore-t-elle. L’Accueil Bonneau offre du logement de transition et à long terme, mais n’offre pas d’hébergement d’urgence 24/7. Puisqu’on ne coche pas cette case-là, nos demandes de rehaussement de catégorie de financement à la mission ne sont pas acceptées. »

L’Accueil Bonneau héberge ou accompagne pourtant plus de 400 personnes par l’entremise de différents logements sociaux.

Bien que Fiona Crossling assure avoir une « bonne écoute » du ministre Lionel Carmant, la situation est intenable, juge-t-elle. Les coûts de main-d’œuvre, la fin des aides pandémiques, l’inflation et la hausse des besoins sociaux sont autant de facteurs qui plombent les finances du refuge.

L’organisme a enregistré des déficits d’environ 400 000 $ en 2021 et en 2022 et de plus de 600 000 $ en 2023, des sommes que la Fondation Accueil Bonneau – qui a dû liquider ses placements – n’est plus en mesure d’absorber.

La direction assure en outre avoir fait le maximum pour réduire son budget de gestion.

Mme Crossling chiffre l’aide publique nécessaire à 700 000 $ par année pour les services alimentaires et à 1,2 million pour l’ensemble de la mission, qui inclut entre autres des interventions psychosociales, des soins de santé ainsi que de l’accompagnement financier et juridique.

« Les repas sont la porte d’entrée principale pour que les gens sortent de la rue, explique la directrice générale. Ils viennent manger, puis ils rencontrent nos intervenants qui les dirigent vers un logement et tout un continuum de services. »

Des utilisateurs inquiets

Attablés dans un coin de la cafétéria, Jean-François Guilbault, Pierre Boyer et Peter sont consternés lorsqu’ils apprennent que les services d’aide alimentaire de l’Accueil Bonneau sont en danger.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Pierre Boyer

La fin de semaine, il y a des files à tous les matins ici. Je ne sais pas où ils vont aller trouver leur bouffe. Moi, je suis résidant à la Maison Eugénie-Bernier, donc ça va, j’ai des cartes d’aide alimentaire. Mais pour les non-résidants, c’est insensé. Je ne comprends pas.

Pierre Boyer, bénéficiaire des services de l’Accueil Bonneau

Le service de repas permet aux personnes en situation d’itinérance non seulement de « se nourrir, mais aussi de briser l’isolement », note Jean-François Guilbault, qui a recours aux services de l’Accueil Bonneau depuis quatre ans. Un seul évènement, dit-il, l’a mené à la consommation, puis à la rue. « L’itinérance, ça peut arriver à n’importe qui », fait-il savoir, en rappelant que même la proverbiale « classe moyenne » peine à joindre les deux bouts.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Jean-François Guilbault

Frédéric Michaud, chef cuisinier à l’Accueil Bonneau, voit d’ailleurs de plus en plus de familles converger rue de la Commune en quête d’un repas chaud.

Les bénéficiaires que nous avons rencontrés sont unanimes : la fin des repas poserait des enjeux non seulement de santé physique, mais aussi de sécurité publique dans le quartier. « Si les gens ont faim et n’ont rien à manger, il y a pas mal plus de chances qu’ils volent leur nourriture ou qu’ils commettent des méfaits », lance Peter, qui nous demande de taire son nom de famille pour ne pas être exposé au jugement de sa famille.

« Je crains d’abord pour la santé physique et mentale des personnes », dit pour sa part Fiona Crossling, directrice générale de l’Accueil Bonneau. « Elles dépendent de ces services pour leur survie. Ce sont des gens comme vous et moi, très intelligents, qui ont besoin d’un soutien pour sortir de la misère. L’itinérance à Montréal a beaucoup augmenté, et la raison principale, c’est parce que les gens n’ont pas pu payer leur loyer et qu’ils ont perdu leur logement. Ça rend des gens en situation de précarité encore plus vulnérables. »

Le ministre Lionel Carmant n’était pas disponible pour répondre à nos questions vendredi après-midi.