C’est une histoire de persévérance et de solidarité. Le rêve agricole d’un couple de non-voyants pourra se poursuivre grâce à un élan de générosité de donateurs et à l’appui d’un homme d’affaires qui s’est « improvisé dragon » en investissant dans leur entreprise.

Daniel Bonin et Maryse Sauvé forment un couple dans la vie comme en affaires. En 2018, ils ont lancé la ferme d’élevage À la canne blanche, jeu de mots qui fait référence au fait qu’ils sont à la fois non-voyants et éleveurs de canes pondeuses.

« À la canne blanche, on a décidé volontairement de le mettre pour dire voilà : on est deux personnes aveugles qui s’accomplissent », raconte Daniel Bonin, qui a subi 29 opérations aux yeux de 2 à 5 ans et qui est subitement devenu non-voyant à 20 ans. « Quand tu deviens aveugle, dans mon cas, j’étais gêné, j’avais honte, je pensais que ma vie était finie. »

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Les canes de Daniel Bonin et de Maryse Sauvé

« On le pense tous un peu », renchérit Maryse Sauvé, qui est atteinte d’une maladie génétique rare, la dystrophie des cônes et des bâtonnets. « Moi, je suis en processus de perte de vision et il y a des journées où je dirais que ce n’est pas facile, mais ça nous donne une raison de vivre. On s’accomplit ! »

On a quelque chose de vivant à l’autre bout. Les canes sont là pour nous le rappeler : “Heille, on est là, nous autres, même à Noël ! Go !”

Maryse Sauvé, de la ferme d’élevage À la canne blanche

Près de 600 oiseaux sont élevés sur leur terre de Stukely-Sud en Estrie. Le duo commercialise environ 250 000 œufs chaque année – près de 100 000 sont produits chez eux et le reste est acheté à une autre ferme.

En avril dernier, leur partenaire leur a annoncé qu’il comptait cesser de produire des œufs en raison des défis posés par la pandémie de grippe aviaire.

Pour continuer à approvisionner tous leurs clients, ils ont décidé de construire un deuxième bâtiment d’élevage dont le coût est évalué à environ 200 000 $. Or, ils peinent à obtenir un appui de la Financière agricole du Québec.

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Les œufs de cane sont vendus aux grandes tables du Québec. Ils sont aussi vendus dans certaines épiceries et dans les paniers des Fermes Lufa.

Les agriculteurs estiment qu’en raison de leur situation particulière de non-voyants, les bailleurs de fonds hésitent à investir davantage dans leur projet.

« À cause de notre handicap, il faut qu’ils fassent attention à ce qu’ils vont dire, alors c’est toujours : “On ne dit pas oui, on ne dit pas non, mais on n’a toujours pas reçu de réponse” », déplore M. Bonin.

Campagne de sociofinancement

Plutôt que de baisser les bras, en mai 2023, ils décident de lancer une campagne de sociofinancement sur la plateforme GoFundMe.

« La journée qu’on a pesé sur Enter pour le GoFundMe, c’est parce qu’on était désespérés », souligne M. Bonin. « On l’a fait la tête basse parce qu’on n’avait plus le choix. On avait la tête basse et chaque jour qu’on voyait les dons entrer, je peux vous dire que la tête se relevait. Et ce n’est pas juste à cause des dons, c’est les commentaires qui rentraient ! »

Résultat : grâce à l’aide de 402 généreux donateurs, ils ont amassé 27 726 $ jusqu’à présent. « On est tellement émus, c’est quoi le mot qui va être assez fort pour dire merci ? », dit Mme Sauvé.

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Chaque année, près de 100 000 œufs de cane sont produits à la ferme d’élevage À la canne blanche.

« La beauté, c’est les gens qui croyaient en nous plus que nous-mêmes on arrivait à croire en nous », ajoute son mari. « Pour toutes ces personnes-là, on ne lâchera jamais, jamais. »

La cagnotte a servi à mettre en place les travaux d’excavation et d’arpentage et d’embaucher un architecte et un agroéconomiste.

Nouveau partenaire

La médiatisation de cette affaire a aussi permis à Daniel Bonin et Maryse Sauvé de rencontrer l’homme d’affaires et investisseur Sébastien Grégoire, qu’ils appellent affectueusement leur « dragon », en référence à l’émission de télé.

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Maryse Sauvé et Daniel Bonin

Ce dernier a spontanément pris le téléphone après avoir entendu une entrevue des agriculteurs à la radio. Le couple l’a invité à la ferme l’après-midi même.

« Ç’a été le coup de foudre en les rencontrant et c’est plaisant pour une fois de choisir des gens au lieu d’un projet », explique celui qui a été touché par leur résilience. Il a sauté dans cette aventure en devenant actionnaire de l’entreprise.

« On n’a toujours pas de financement pour la nouvelle bâtisse, donc j’ai injecté personnellement », explique-t-il.

Pour l’instant, au moins, on n’a pas le souci de courir après de l’argent pour laisser le projet avancer.

Sébastien Grégoire, homme d’affaires et investisseur

Actuaire de formation, il avoue avoir du mal à comprendre les embûches qu’ils ont rencontrées dans leur recherche de financement.

« On dirait que ça fait peur que ce soient deux personnes avec un handicap visuel. Moi, c’est le contraire, ça me motive. Je me dis : “Si ça ne les arrête pas et qu’ils ont autant de motivation, eh bien, mon Dieu, c’est un parfait team.” »

La construction du nouveau bâtiment va bon train. Si tout va bien, ils pourront accueillir leurs premiers canetons en février.

« Le bâtiment qu’on est en train de construire, c’est ce qui nous permet de continuer à avoir notre joie et notre goût de vivre en gardant cette petite pépite qu’on a », se réjouit Maryse Sauvé.