« Ici, je me sens en sécurité. »

Sa petite Jasmine* sur les genoux, Aïcha* le répétera souvent durant notre visite de son nouveau chez-soi par un froid après-midi de novembre.

Chaque fois, la demandeuse d’asile de 21 ans s’empresse de remercier Michel Gomez et Vanessa Labelle, le couple qui lui a offert un logement après la publication de son histoire dans La Presse en janvier dernier.

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Aïcha en janvier 2023, alors qu’elle était à quelques semaines d’accoucher

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Nous retrouvons une Aïcha souriante, calme, à des années-lumière de la jeune femme épuisée, anxieuse que nous avions rencontrée il y a près d’un an.

Les Labelle-Gomez lui ont fourni bien plus qu’un toit. Ils sont devenus sa seconde famille.

Cela saute aux yeux.

« Tu nous apportes autant que nous on peut t’apporter, lance Vanessa en lui jetant un regard complice. Tu as changé nos vies. »

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Vanessa Labelle, Michel Gomez et leurs deux enfants

Long et dangereux trajet

D’origine camerounaise, Aïcha a fui un conjoint violent avec qui elle vivait au Chili. Cet homme l’a affamée et jetée à la rue après avoir appris qu’elle était enceinte. Au péril de sa vie, la jeune femme a alors entrepris un long et dangereux trajet à travers l’Amérique pour demander l’asile au Canada.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Le parcours d’Aïcha

Débordé par l’afflux de migrants, le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile du gouvernement québécois l’a hébergée uniquement durant environ un mois. Dès qu’elle a reçu son premier chèque d’aide sociale, elle a été obligée de partir, malgré le fait qu’elle était enceinte de huit mois.

À la veille d’accoucher, elle s’était retrouvée dans un petit logement d’étudiants où elle ne pouvait pas demeurer après avoir donné naissance à son enfant.

À l’approche de la date du 12 février – jour prévu de son accouchement –, elle était terrorisée. Sans domicile fixe, lui enlèverait-on son enfant à l’hôpital ?

À la lecture de son histoire dans La Presse, Michel et Vanessa ont été bouleversés.

Ce couple de Montréalais de la classe moyenne ressemble à beaucoup d’autres. Elle est coach en nutrition et en bien-être. Lui, importateur de spiritueux. Leur vie est bien remplie, entre leurs carrières à faire prospérer et trois jeunes enfants à élever.

Qu’est-ce qui les a poussés à bouleverser leur quotidien pour aider une parfaite inconnue ?

Leur locataire partait justement le 12 février. « J’y ai vu un signe », raconte la mère de famille, qui s’est empressée d’écrire à La Presse après la publication du reportage pour être mise en contact avec Aïcha.

« Je lisais à voix haute la liste des pays qu’elle a traversés, alors qu’elle était enceinte, et je me disais : mais comment a-t-elle fait ? », ajoute son conjoint Michel. Comme ses parents sont originaires de la Colombie, il avait des images très précises de la région, et surtout, des obstacles à franchir.

À peine trois jours plus tard, la jeune demandeuse d’asile rencontrait le couple pour la première fois. Ce dernier lui offrait un logement meublé et impeccable à un prix dérisoire.

Depuis, « c’est la plus belle expérience de ma vie », dit Aïcha.

La jeune maman peut accéder à la maison des Labelle-Gomez par leur cour arrière puisque le logement est situé au fond de ladite cour. Le détail n’est pas anodin. Elle sait qu’elle peut se réfugier chez eux n’importe quand en cas de besoin.

Plus tôt cette année, son ex-conjoint violent a appris qu’elle était parvenue à entrer au Canada. À travers des gens de la communauté camerounaise installés dans la métropole, il lui a fait parvenir un message inquiétant disant qu’il avait l’intention de la rejoindre ici pour rencontrer sa fille.

Sur le coup, elle a eu très peur pour elle et son bébé.

« Ne t’inquiète pas, on va te protéger, lui a promis Michel de sa voix rassurante. Il ne rentrera jamais ici. »

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Aïcha a le droit à une meilleure vie grâce à sa famille d’accueil du Québec.

Bienveillance

La bienveillance est manifeste chez les Labelle-Gomez. Après son accouchement, Aïcha a souffert d’une dépression post-partum. « Je pensais que j’allais mourir », raconte-t-elle. Sa deuxième famille l’a accueillie chez elle maintes et maintes fois le temps d’un repas ou même d’une nuit pour la rassurer.

En pleine crise du verglas en avril dernier, Aïcha a paniqué. Elle n’avait jamais rien vu de tel. Elle s’est réfugiée chez ses propriétaires. Et comme ils étaient aussi privés de courant, ce sont les parents de Michel (la solidarité est de famille chez les Gomez !) qui ont finalement hébergé tout le monde.

« Je ne sais pas ce que je ferais sans Michel et Vanessa », lâche Aïcha, la petite de neuf mois et demi toujours sur les genoux. Le bébé au regard pétillant babille à profusion entre deux réponses de sa maman, comme pour ajouter son grain de sel à l’entrevue.

Il y a eu des moments difficiles, mais aussi beaucoup de moments doux. Comme cette journée où la famille l’a amenée à la cabane à sucre. « J’ai mangé quatre bâtons de... Aïcha cherche le mot. Comment ça s’appelle, déjà ? C’était tellement sucré. »

« Tire d’érable », complète Vanessa en riant.

Et cette fois où, pour lui faire une surprise, le couple a fait venir un chef cuisinier aux origines africaines à domicile pour préparer un festin qui lui rappellerait – et goûterait surtout – un peu la maison.

Grâce à Aïcha, les trois enfants du couple s’ouvrent sur le monde et sur les inégalités, fait valoir Vanessa.

Une anecdote parmi d’autres : la jeune femme parle à sa mère et à ses jeunes frères et sœurs restés au Cameroun tous les jours par FaceTime.

Un jour, Xavier, le garçon de 8 ans du couple, fixait l’écran, les yeux écarquillés.

« Il n’y a pas de plancher chez la maman d’Aïcha ? Pas de jouets non plus ? », s’étonnait l’enfant en voyant que la maison était sur terre battue. C’est là qu’il a compris le grand dénuement dans lequel avait grandi Aïcha.

Obstacle

La demandeuse d’asile a désormais son permis de travail. Elle est pressée de contribuer à la société québécoise. Or, comme les immigrants à statut précaire n’ont pas accès aux services de garde subventionnés, elle doit demeurer à la maison pour s’occuper de son bébé.

Aïcha n’a pas les moyens de débourser 50 $ par jour pour envoyer sa fille dans une garderie privée. Sans formation, elle occuperait un emploi au bas de l’échelle. Et même si elle entreprend des études, elle n’y aurait pas davantage accès.

Des organismes membres du Comité action garderie dont fait partie Amnistie internationale contestent d’ailleurs devant les tribunaux cette décision du gouvernement du Québec de priver les demandeurs d’asile d’un accès aux services de garde subventionnés.

Bref, Aïcha est coincée tant qu’elle n’est pas fixée sur son statut, constate sa seconde famille, qui l’encourage à faire des études plutôt que d’occuper un emploi au salaire minimum.

Aïcha, sa fille et toute la petite famille sont devenues très complices au fil des mois. Quand Jasmine apparaît dans le cadre de porte, Anna-Sofia, 6 ans, se précipite pour jouer avec elle et la couvrir de bisous. La cadette, Léa, 2 ans, n’est jamais bien loin.

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Anna-Sofia, 6 ans, joue avec Jasmine.

À force de la voir parler sur FaceTime avec sa maman, Vanessa a demandé à Aïcha : « Coudonc, elle a quel âge, ta mère ? »

« 40 ans », a répondu la jeune femme.

« J’ai 41. Je pourrais être ta mère », a réalisé Vanessa.

Les deux femmes ont éclaté de rire.

Vanessa ne se doutait pas, en janvier dernier, qu’elle jouerait ce rôle de mère d’accueil. « On a eu un élan du cœur, lance-t-elle, mais on n’avait pas réfléchi au niveau d’engagement que cela exigerait. »

Son conjoint Michel opine de la tête, tout sourire : « Parfois, ça vaut la peine de plonger sans trop se poser de questions. »

* Aïcha et Jasmine sont des prénoms fictifs, mais leur histoire ne l’est pas. La demandeuse d’asile a requis l’anonymat pour elle et sa fille, car elle craint pour leur sécurité en raison de la violence conjugale dont elle a été victime.