Des dizaines de chercheurs universitaires québécois travaillent actuellement sur le développement de technologies névralgiques avec des partenaires chinois affiliés à des organismes qui présentent un risque pour la sécurité nationale, selon une liste publiée par Ottawa mardi. Le gouvernement fédéral a annoncé qu’il cesserait désormais de subventionner les projets du genre liés aux institutions étrangères considérées comme à risque.

La liste des organisations à risque a été établie par les autorités fédérales en collaboration avec le ministère de la Sécurité publique, qui a utilisé des informations déjà publiques, mais aussi des informations top secrètes détenues par les services de renseignement canadiens ainsi que des informations obtenues des pays alliés du Canada.

Désormais, il sera interdit de demander une subvention fédérale pour un projet de recherche dans certains domaines névralgiques qui inclut un chercheur, un financement ou un appui de l’une de ces institutions jugées problématiques.

« Il s’agit d’organisations affiliées à des organismes militaires, à des organismes de défense nationale ou à des organismes de sécurité d’États étrangers qui présentent des risques pour la sécurité nationale du Canada », ont expliqué dans une déclaration conjointe les ministres François-Philippe Champagne, Mark Holland et Dominic LeBlanc.

Stations spatiales et exosquelettes

Les domaines névralgiques qui sont visés comprennent les recherches en matière de technologies de communication de pointe, la cryptographie, la cybersécurité, les matériaux supraconducteurs, les radars avancés, les satellites, les stations spatiales, l’intelligence artificielle, l’informatique quantique, la biologie synthétique et les exosquelettes.

Le pays avec le plus grand nombre d’entités inscrites sur la liste noire est la Chine, suivie de la Russie et de l’Iran. La liste comprend des établissements chinois où des chercheurs mènent des recherches conjointes avec des confrères du réseau de l’Université du Québec, de Polytechnique, des universités Laval, McGill et Concordia, entre autres.

Certains domaines de recherche ne posent pas problème. Ottawa ne s’inquiète pas des recherches menées avec des partenaires chinois sur le langage ou certains problèmes de santé, par exemple.

Mais la liste noire canadienne comprend aussi plusieurs institutions chinoises où des chercheurs travaillent sur des technologies sensibles avec des collègues du Canada en général et du Québec, selon une compilation effectuée par la firme spécialisée américaine Data Abyss.

Nombreux liens

Le Canada juge par exemple que les organismes suivants posent un risque pour la sécurité nationale :

  • L’Université d’aéronautique et d’astronautique de Nankin (Nanjing), dont certains chercheurs collaborent actuellement avec des scientifiques affiliés au réseau de l’Université du Québec dans une recherche sur la technologie 5G et d’autres avec des chercheurs de Concordia pour une recherche sur les drones.
  • L’Institut de technologie de Harbin, dont des chercheurs collaborent avec des partenaires de l’Université McGill en matière d’intelligence artificielle et d’exploration spatiale.
  • L’Université Beihang, aussi appelée Université d’aéronautique et d’astronautique de Pékin, dont certains chercheurs travaillent avec des collègues de l’École de technologie supérieure à Montréal en matière de sécurisation des véhicules intelligents et connectés.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ BEIHANG

L’Université Beihang

  • L’Institut de technologie de Pékin, où des chercheurs travaillent sur les technologies de laser en lien avec Polytechnique Montréal et l’informatique quantique avec des partenaires de McGill.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’INSTITUT TECHNOLOGIQUE DE PÉKIN

L’Institut de technologie de Pékin

  • L’Université polytechnique du Nord-Ouest de la Chine, où un laboratoire collabore avec des chercheurs de Concordia dans la recherche sur les contrôles de véhicules hypersoniques.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UNIVERSITÉ POLYTECHNIQUE DU NORD-OUEST

L’Université polytechnique du Nord-Ouest de la Chine

La nouvelle politique du gouvernement fédéral a été développée en collaboration avec le milieu universitaire canadien, affirme Ottawa. Les représentants du gouvernement ont répété plusieurs fois mardi qu’il ne s’agissait pas de stigmatiser un groupe de personnes ou un pays, mais bien de jauger le risque posé par certains établissements liés à des risques précis.

Certains établissements canadiens perdront l’accès à des ressources étrangères utilisées dans la recherche en raison des nouveaux interdits, mais des représentants du gouvernement ont tenu à rappeler lors d’un breffage avec les médias mardi que le détournement et le vol de technologies par certains acteurs étrangers avaient un coût.

Des représentants des établissements universitaires étaient en rencontre mardi après-midi afin de prendre connaissance des détails de la nouvelle politique et des implications pour la recherche. Plusieurs prévoient réagir plus tard cette semaine après avoir analysé le tout.

Par souci d’équité procédurale, la nouvelle politique ne s’appliquera pas rétroactivement aux subventions qui ont déjà été accordées, a précisé Innovation, Science et Développement économique Canada.

« Cependant, les organismes subventionnaires ont l’autorité de mettre fin à des subventions, au cas par cas, pour des raisons de sécurité nationale. Plusieurs institutions ont aussi annoncé qu’elles mettraient un terme d’elles-mêmes à certains partenariats », a souligné le Ministère dans un courriel à La Presse.

Des scientifiques épinglés

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVESLA PRESSE

Wanping Zheng, ancien employé de l’Agence spatiale canadienne

  • En 2023, Wanping Zheng, un ancien scientifique de l’Agence spatiale canadienne a comparu à procès pour abus de confiance, après une enquête de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur l’utilisation alléguée de son statut afin d’intervention en faveur d’une société d’exploration spatiale chinoise. M. Zheng est en attente d’un verdict.

PHOTO FOURNIE

Yuesheng Wang

  • En 2022, la Gendarmerie royale du Canada a arrêté Yuesheng Wang, un chercheur employé par Hydro-Québec accusé d’avoir obtenu des secrets industriels concernant les batteries « au bénéfice de la République populaire de Chine ».

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Ishiang Shih, professeur de l’Université McGill

  • En 2018, les autorités américaines ont déposé des accusations criminelles contre un professeur de l’Université McGill, Ishiang Shih, après une enquête du FBI sur le vol de secrets industriels qui auraient été utilisés dans le développement de missiles en Chine. Le procès de M. Shih n’est pas commencé et il rejette les accusations.