Il n’y a pas que les abonnés de la téléphonie par internet qui ont du mal à faire des appels d’urgence en français. Une cliente du service mobile du géant des télécommunications Rogers est elle aussi tombée sur une agente unilingue anglophone en appelant les secours dans la réserve faunique des Laurentides. Comme les autres cas rapportés ces derniers jours, l’incident concerne le centre d’appels de Northern 911 en Ontario.

Ce qu’il faut savoir

Une abonnée du service mobile de Rogers a signalé à La Presse un service uniquement en anglais lors d’un appel d’urgence passé du Québec.

Le centre d’appels responsable, Northern 911, en Ontario, vient de faire la manchette pour un service unilingue anglophone donné à des clients de téléphonie IP.

Rogers assure pourtant qu’en principe, les appels du Québec « dans ces circonstances » sont censés aller à des téléphonistes « complètement bilingues ».

Le 29 décembre, Julie Boudreault roulait sur un tronçon isolé de la route 175, entre Chicoutimi et Québec. Vers midi et demi, elle a vu deux sorties de route. « Les gens étaient vraiment pris, ils n’allaient pas s’en sortir seuls et il neigeait », dit-elle.

Elle a donc composé le 911.

Une téléphoniste a répondu assez rapidement, mais en anglais. J’ai raconté en français. Elle me demande : « Je ne comprends pas. Avez-vous besoin d’une traduction ? » Je ne comprenais pas la situation sur le coup.

Julie Boudreault

Julie Boudreault a répondu que ce n’était pas nécessaire, qu’elle pouvait décrire l’accident en anglais. « Ça fait que j’ai expliqué la situation. Elle me demandait : “C’est au Québec ?” Je lui ai dit que la ville la plus proche était Chicoutimi, mais elle ne comprenait pas. Elle m’a demandé de l’épeler. »

Elle s’est finalement fait comprendre. Transmis au Saguenay, l’appel s’est conclu quelques secondes plus tard.

L’adrénaline retombée, Julie Boudreault a repensé à la situation. « Si je ne comprenais pas l’anglais, je n’aurais pu avoir aucun service ! déplore-t-elle. Et si j’avais été en panique ou en détresse, j’aurais eu besoin que quelqu’un réagisse vite… »

« Accord commercial confidentiel »

Julie Boudreault a passé son appel dans une zone isolée. « Dans les régions éloignées qui ne sont pas desservies par un centre d’appels local 911, les fournisseurs de services sans fil acheminent les appels urgents à divers fournisseurs tiers dotés de spécialistes certifiés en intervention d’urgence en français et en anglais », selon un courriel de Laura Crochetiere, porte-parole de Rogers.

Sa déclaration a évolué depuis lundi, alors qu’elle disait plutôt que « tous les centres d’appels tiers » avec lesquels le géant des télécommunications fait affaire « sont pleinement bilingues ». « Donc nous sommes en train d’enquêter sur ce qui s’est passé », confiait-elle à La Presse.

Chose certaine, la téléphoniste en ligne avec Julie Boudreault le 29 décembre ne parlait pas français. Rogers refuse d’expliquer clairement ce qui s’est passé, invoquant un « accord commercial confidentiel ».

Le « fournisseur tiers » sous contrat avec l’entreprise torontoise est Northern 911, de Sudbury, en Ontario. Cette compagnie vient de faire la manchette pour n’avoir pas pu répondre en français à des appels d’urgence en provenance du Québec par téléphonie IP.

Contactée par La Presse, la vice-présidente de la maison mère, Northern Communications, considère en fait que sa filiale offre le service bilingue si l’agent qui prend un appel offre la traduction.

« Northern 911 offre le service dans les deux langues officielles du Canada à l’interne en tout temps, écrit Taylor Shantz dans un courriel. L’appel dont il est question a été pris par une responsable des télécommunications qui a offert des services d’interprétation à l’appelante. Cette dernière a refusé, invoquant sa compétence en anglais. »

Lisez « Appel au 911 : in English only »

Problèmes récurrents

La Presse rapportait lundi comment un Montréalais s’est aussi buté à un service uniquement en anglais en signalant une voiture en feu devant chez lui. Son appel par un service de téléphonie IP de Transat Télécom a aussi abouti à un préposé de Northern 911, le 9 janvier.

Le Devoir a rapporté un évènement similaire au printemps dernier. À l’époque, Gaétan Nadeau, de Saint-Jean-Port-Joli, s’était lui aussi heurté au service unilingue de Northern 911, alors que sa conjointe venait de s’effondrer devant lui.

En entrevue avec La Presse, l’homme de 70 ans n’en revient toujours pas. Il avait appelé les secours à l’aide de sa ligne IP avec Oxio, filiale de Cogeco Communications.

Elle s’était évanouie, les yeux révulsés, le pouls très bas, raconte-t-il. C’est un employé anglophone qui m’a répondu. Je ne comprenais pas son anglais. J’ai gelé : est-ce que c’est le bon numéro ?

Gaétan Nadeau

Gaétan Nadeau a finalement été transféré à la centrale d’urgence, mais l’opérateur ne l’entendait pas. Il a raccroché et l’ambulance n’est arrivée qu’après un autre appel passé au CLSC local.

« Il y a une panique qui s’installe, c’est sûr, dit-il. J’imagine une personne âgée, démunie, ça aurait été plus difficile ! Imaginez quelqu’un à Mégantic, dans la pire crise, tomber sur quelqu’un qui ne comprend rien, ça aurait été un problème épouvantable ! »

Il croit que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) « se traîne les pieds » dans ce dossier, au lieu de forcer les entreprises à respecter la Loi sur les langues officielles.

« À notre connaissance, aucune solution technique n’a été identifiée pour permettre le routage direct des appels 911 effectués via un service IP », dit Mirabella Salem, porte-parole du CRTC.

Dans les centres d’urgence, des employés ont communiqué avec La Presse pour faire part des problèmes qui se multiplient avec les appels en provenance de Northern 911.

Quand c’est eux qui acheminent un appel, personne ne parle jamais bien français. Ils ne sont jamais capables de dire les noms de rue. Ça augmente les délais.

un employé d’un centre d’urgence de la grande région de Montréal, qui demande l’anonymat parce qu’il n’a pas l’autorisation de parler aux médias

Un collègue dans un autre centre d’urgence québécois tient le même discours.

« Vous soulevez un gros problème que je constate tous les jours avec Northern 911 », dit-il.

L’entreprise ontarienne domine le marché des appels au 911 non attribuables à une centrale d’urgence associée à un territoire.