Un patient qui devait être transporté d’urgence à Montréal est mort sur le tarmac de l’aéroport de Val-d’Or. Le drame est survenu alors que le Service aérien gouvernemental (SAG) connaissait une série de ratés liés à l’indisponibilité des pilotes et à la vétusté des avions, a appris La Presse.

Le mercure oscillait autour de -20 °C, le 4 janvier dernier, lorsqu’un appareil Pilatus de la compagnie Airmedic s’est posé sur la piste en vue du transport.

Cet avion appartenant à un « prestataire externe » devait être employé ce soir-là, comme c’est de plus en plus souvent le cas pour assurer les évacuations médicales en région éloignée. Cette fois, c’était en raison d’un manque de pilotes du SAG pour assurer le quart de nuit.

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Étant donné son état très instable, le patient aurait normalement dû être transporté par l’un des deux « avions-hôpitaux » du SAG, des jets Challenger, à la disposition de l’équipe du programme d’évacuations aéromédicales du Québec (EVAQ), ont indiqué deux sources au courant du dossier.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU MINISTÈRE DES TRANSPORTS ET DE LA MOBILITÉ DURABLE

Un jet Challenger utilisé comme avion-hôpital

Or, l’appareil Pilatus ne dispose pas des mêmes installations que ces avions, dont l’intérieur est aménagé de manière à permettre d’y recevoir des soins intensifs.

Exposées au froid dans l’étroit habitacle lors de l’embarquement du patient, les tubulures permettant l’administration par intraveineuse de ses médicaments vitaux auraient gelé, ce qui a contribué à son décès, ont indiqué ces mêmes sources.

Le Bureau du coroner a fait savoir qu’il n’était pas en mesure de retracer le décès, qui a officiellement été enregistré à l’hôpital de Val-d’Or, et ne pouvait donc ni confirmer ni infirmer qu’une enquête avait été ouverte dans ce dossier. Le personnel médical et les pilotes, tous formés, disponibles et en pleine possession de leurs moyens au moment du drame, ne seraient nullement en cause.

IMAGE TIRÉE DU SITE DU GOUVERNEMENT DU QUÉBEC

Intérieur d’un avion-hôpital du Service aérien gouvernemental

« Les contrats de transport médical de relève sont octroyés à des prestataires qui ont obtenu les certificats spécifiques au transport aéromédical », précise de son côté le ministère des Transports et de la Mobilité durable (MTMD), dont relève le SAG.

Un bris à Kuujjuaq

Parallèlement à ce drame, le lendemain, un des deux jets Challenger du SAG utilisés pour desservir les communautés du Nunavik n’a pu redécoller de l’aéroport de Kuujjuaq après avoir subi une défaillance lors de son atterrissage quelques heures plus tôt.

L’appareil désigné sous le sigle « QUE10 » est resté bloqué plus de 24 heures sur le tarmac de cet aéroport du Grand Nord. Québec a ainsi été privé durant une courte fenêtre de ses deux jets désignés comme des « avions-hôpitaux ». En effet, l’autre Challenger qu’il possède était alors en « maintenance non programmée », a indiqué le MTMD.

Cet appareil de relève, qui a déjà transporté certains premiers ministres dans le passé avant d’être converti en avion-hôpital, atteindrait la fin de sa vie utile, toujours selon nos sources. Depuis le début de l’année, il n’a volé que deux jours, indique un registre de vols accessible au public, FlightAware.

Or, le SAG affirme plutôt que son utilisation parcimonieuse est due au fait qu’il est « l’avion de relève de l’avion-hôpital principal QUE10 ». « L’utilisation des appareils est effectuée en fonction de leurs disponibilités, lesquelles sont déterminées par les calendriers de maintenance planifiée », explique Émilie Lord, porte-parole du MTMD.

Encore une fois, un prestataire externe de relève a donc été appelé à la rescousse pour ramener les patients que QUE10 devait transporter de Kuujjuaq vers le Sud.

Neuf heures de délai

Mais comble du malheur, c’est durant cette courte fenêtre où aucun des jets « avions-hôpitaux » du gouvernement n’était disponible qu’un appel pour un transport aérien d’urgence a été reçu, vers 22 h le 5 janvier, de Schefferville, toujours dans le nord du Québec.

Un enfant aux prises avec une hémorragie interne à la suite d’un accident de motoneige devait être transporté au plus vite dans un centre hospitalier pour y recevoir une transfusion sanguine.

En temps normal, un des Challenger du SAG aurait été envoyé dans cette région, selon nos sources, puisqu’ils font le trajet bien plus rapidement que les autres avions à la disposition d’EVAQ, deux Dash 8 bihélices.

C’est toutefois un de ces appareils qui s’est posé à l’aéroport de Schefferville, le lendemain de l’incident, à 7 h 31, selon le registre de vol FlightAware, soit plus de 9 heures après l’appel.

« Puisque l’équipage navigant de nuit n’était pas complet, la mission a été lancée à 4 h le matin du 6 janvier avec l’équipe de jour, soit le plus tôt possible », s’est défendu le MTMD.

Sans commenter son état de santé, le médecin de famille de garde à Schefferville cette nuit témoigne de cette expérience « démoralisante ».

« C’est très traumatisant pour moi, de faire les choses au début, puis d’attendre, d’être juste là à attendre », raconte le Dr Paul Theodorescu, qui travaille à Schefferville six mois par année depuis quatre ans. « Il y a une différence entre recevoir du sang et se faire opérer trois heures ou huit heures plus tard », ajoute le soignant, qui a déjà fait appel plusieurs fois par le passé aux services d’EVAQ.

Pour le DCharles-Étienne Plourde, qui œuvre au sein d’EVAQ, la situation est intenable. « Si on décide de ne plus offrir ce service, j’aimerais que ce soit clair et qu’on en informe nos régions. Par contre, si on décide de le garder, il faut agir vite, car d’autres vies seront perdues », déclare le médecin, qui a choisi de prendre la parole pour dénoncer la situation.

Pénurie de pilotes

Certes, l’état des avions du SAG est problématique, mais la pénurie de pilotes l’est tout autant, affirme Charles-Étienne Plourde. Il souligne par ailleurs le dévouement des équipes d’EVAQ, des gens « incroyables » qui souffrent des ratés de la flotte d’appareils qui doivent servir leur travail, selon lui.

On a moins de pilotes, des avions défaillants et un service essentiel à maintenir. Il faudra vivre avec les conséquences que des vies sont en jeu aux quatre coins de la province, car nous n’avons plus les ressources pour faire notre travail.

Le DCharles-Étienne Plourde, qui œuvre au sein du programme d’évacuations aéromédicales du Québec

En octobre dernier, La Presse rapportait qu’en quelques mois, huit personnes capables de piloter les avions gouvernementaux – les Challenger et Dash 8 – avaient quitté les rangs. Il n’en restait alors que 28, ce qui représente 14 équipages.

Lisez « Évacuations médicales : le Service aérien gouvernemental bat de l’aile »

Le MTMD confirme aujourd’hui qu’il dispose d’un effectif de 26 pilotes d’avions d’affaires, soit encore deux de moins. Selon leur syndicat, environ 40 pilotes seraient nécessaires pour assurer un service adéquat.

« Les besoins en transports médicaux qui évoluent constamment, les bris imprévisibles des appareils et le manque de main-d’œuvre sont des éléments auxquels le MTMD doit faire face, reconnaît la porte-parole Émilie Lord. À cet égard, le Ministère travaille à mettre en place des mesures pour favoriser l’attraction et la fidélisation du personnel spécialisé et à renouveler sa flotte aérienne en vue de satisfaire à sa mission et assurer la pérennité de ses services essentiels. »

En plus de l’aspect des transports médicaux, le SAG est responsable des transports sanitaires aériens, de la lutte contre les incendies de forêt (avec ses avions-citernes) et d’autres activités aériennes, comme la collaboration avec la Sûreté du Québec grâce à ses hélicoptères.