La demande visant à exercer une action collective au nom de personnes qui ont perdu la vie dans certains CHSLD du Québec durant la pandémie de COVID-19 vient d’être autorisée dans un jugement de la Cour supérieure.

Dans un jugement rendu public mardi, le Tribunal autorise l’exercice de l’action collective pour les résidants des CHSLD publics ayant connu une « éclosion majeure » entre le 13 mars 2020 et le 20 mars 2021. Les proches sont aussi inclus dans l’action. Dans son jugement, la cour définit le terme « éclosion majeure » comme un taux d’infection de plus de 25 %.

Environ 118 CHSLD auraient connu une telle éclosion durant les deux premières vagues de la pandémie au Québec, selon l’avocat Patrick Martin-Ménard, qui représente Jean-Pierre Daubois, le demandeur dans ce dossier.

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MPatrick Martin-Ménard et Jean-Pierre Daubois, fils d’Anna José Maquet et demandeur dans le dossier

La mère de M. Daubois, Anna José Maquet, est morte au CHSLD de Sainte-Dorothée, à Laval, le 3 avril 2020, à l’âge de 94 ans, « dans des conditions assez épouvantables », a affirmé M. Daubois dans un point de presse, mardi. L’établissement était alors touché par une forte éclosion de COVID-19.

M. Daubois plaide que sa mère est morte après s’être étouffée avec un verre d’eau, entre autres « en raison de directives limitant les soins, et notamment l’assistance respiratoire pouvant être apportée aux patients en détresse respiratoire en CHSLD » durant la pandémie.

Comme dans beaucoup d’autres établissements, il y avait peu d’équipement de protection individuelle (EPI) disponible au CHSLD de Sainte-Dorothée et le personnel, peu nombreux, était débordé. M. Daubois estime que le gouvernement a géré la pandémie dans les CHSLD de façon « totalement irresponsable » et dans une « improvisation totale ».

Le CHSLD de Sainte-Dorothée, qui compte 193 lits, a été l’un des plus touchés par la pandémie de COVID-19 au printemps 2020. En tout, 218 résidants y ont été infectés et 101 en sont morts. Durant la première vague de la pandémie, 5060 résidants de CHSLD ont perdu la vie aux quatre coins du Québec.

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Le CHSLD de Sainte-Dorothée, qui compte 193 lits, a été l’un des plus touchés par la pandémie au printemps 2020.

Manque de préparation et mauvaise gestion

Dans sa demande, M. Daubois a fait valoir que les autorités de santé du Québec étaient mal préparées pour faire face à la pandémie et qu’ils ont mal géré la crise, « ce qui a fait en sorte que tous les résidants des CHSLD publics du Québec, qu’ils aient eu ou non la COVID-19, ont subi pendant cette période des conséquences sur leur santé mentale et physique et sur le niveau de soins auquel ils auraient dû normalement avoir droit ».

Au départ, MMartin-Ménard plaidait pour que tous les CHSLD ayant eu deux cas ou plus de COVID-19 durant les premières vagues soient inclus dans l’action collective. Après quatre ans de procédure, la cour définit finalement le groupe visé par l’action comme étant formé de toutes les personnes « ayant résidé à tout moment entre le 13 mars 2020 et le 20 mars 2021 dans l’un des CHSLD publics du Québec dans lequel il y a eu une éclosion de 25 % et plus de cas de COVID-19, ainsi que leur conjoint, leur(s) aidant(s) naturel(s), leurs enfants et leurs petits-enfants, de même que les héritiers et ayants droit des résidants décédés ».

Le nombre exact des personnes concernées reste inconnu, mais pourrait atteindre plusieurs milliers. La liste complète des 118 CHSLD visés par l’action sera rendue publique sur le site web du cabinet Ménard, Martin Avocats.

Le fond de la cause sera entendu dans les prochains mois. Plusieurs questions devront être tranchées, indique le jugement. Notamment celle de savoir si les CISSS et CIUSSS dont relèvent les CHSLD ont commis différentes fautes dans la gestion de la première vague, par exemple ne pas avoir « pris des mesures pour préparer les CHSLD sous leur responsabilité à la pandémie en janvier et février 2020 », « avoir contraint des employés symptomatiques ou à risque à travailler en CHSLD » ou « avoir omis de protéger les résidants de CHSLD alors que ceux-ci étaient identifiés dès janvier 2020 comme faisant partie de la population la plus vulnérable ».

La cour devra aussi déterminer si le ministère de la Santé et des Services sociaux et le directeur national de santé publique ont « commis des fautes », notamment en omettant « de planifier un approvisionnement en EPI pour faire face à la première vague de COVID-19 qui s’annonçait ». Pour MMartin-Ménard, il ne fait pas de doute que la pandémie de COVID-19 était « prévisible ».

On connaissait les risques associés à une pandémie et les façons de se préparer.

L’avocat MPatrick Martin-Ménard

M. Daubois estime que si cette cause complexe doit encore cheminer, l’autorisation de l’action collective est « une victoire pour les familles ». Un avis partagé par MMartin-Ménard : « C’est un dossier extrêmement important. Pour le devoir de mémoire face aux victimes du printemps 2020. Le devoir de ne pas oublier ce qui s’est passé et de s’assurer que des leçons ont été apprises. »

Le cabinet de la ministre responsable des Aînés, Sonia Bélanger, n’a pas voulu commenter la situation puisque le dossier se trouve devant les tribunaux.

Avec la collaboration de Fanny Lévesque, La Presse