Juste avant qu’un skieur de 78 ans ne fasse une chute mortelle sur le versant Avila du Sommet Saint-Sauveur, il y a une semaine, un autre skieur avait subi un grave accident qui aurait pu lui coûter la vie dans le même segment de la même piste, a appris La Presse.

La mort de Gérard Proulx a fait les manchettes. La Presse rapportait1 le 16 janvier, sans le nommer, la mort de M. Proulx : « La mort du skieur, qui était septuagénaire, ne serait pas consécutive à une collision. »

C’est la famille de M. Proulx, 78 ans, qui a contacté La Presse, car elle souhaitait dénoncer un aménagement décrit comme non sécuritaire sur la piste Laurentides.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Gérard Proulx

Un des fils de M. Proulx, Sylvain, a raconté que son père avait été piégé par un nuage causé par des canons à neige. Or, dit Sylvain Proulx, ce nuage cachait un monticule de neige qui a propulsé son père dans les airs, entraînant une chute mortelle, vers la fin de la piste Laurentides2.

Quand La Presse a demandé à Sylvain Proulx – qui n’était pas présent lors de la sortie de ski fatidique de son père Gérard – d’où il tenait ces informations, il a expliqué que quelques minutes avant l’accident, un autre skieur avait subi un grave accident au même endroit.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Ce skieur s’appelle Carol Morissette. Il s’agit d’un entrepreneur des Laurentides, membre de la famille qui possédait jadis le club de hockey junior Le Titan de Laval.

Joint aux soins intensifs de l’hôpital de Saint-Jérôme hier, l’homme de 68 ans a confirmé les dires de Sylvain Proulx : « Je descendais la Laurentides et je vois un canon à neige, il y a le nuage du canon à neige. Je contourne le nuage pour l’éviter, mais je n’ai pas pu l’éviter, ça devient blanc sur blanc… »

C’est alors, raconte Carol Morissette, qu’il s’est littéralement envolé. Il n’y voyait plus rien, mais il a bien senti qu’il ne touchait plus la piste : « J’ai fait un vol plané, au moins 15, 20 pieds. Je n’ai jamais jumpé de même de ma vie. Même quand je suis retombé, sur mon côté gauche, je suis tombé à l’aveugle, tout était blanc sur blanc, j’étais dans une immense ondée de neige… »

Le choc a été foudroyant, fracturant le fémur de Carol Morissette quand l’os de sa cuisse a remonté brutalement sur sa hanche artificielle en titane : « Mon fémur s’est fracturé sur le long, comme une bûche. »

Le skieur s’est aussi gravement blessé à un coude et à un doigt, en plus de subir des contusions aux épaules et une commotion cérébrale. Étendu sur la piste, il n’était pas au bout de ses peines : personne n’était en vue pour prévenir les patrouilleurs.

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Carol Morissette a subi une série de blessures, dont une fracture du fémur.

« J’ai crié à l’aide, personne ne me voyait. Quand quelqu’un a fini par arriver, j’ai demandé d’appeler les brancardiers. Ils ont envoyé les brancardiers, qui sont arrivés en Ski-Doo. »

Les patrouilleurs sont alors venus en aide à Carol Morissette.

Un autre accident au même endroit

Il était sanglé sur une civière, à l’arrière de la motoneige, quand il a entendu sur les ondes des radios des patrouilleurs qu’un autre accident venait de se produire : « Ils ont parlé d’un autre accident, à la même place, mais que le skieur était en arrêt cardiaque. Je n’ai pas eu connaissance de l’accident, je l’ai juste entendu sur les ondes de leurs radios. »

M. Morissette affirme avoir dit aux patrouilleurs, quand ils sont arrivés, de fermer la piste pour éviter que quelqu’un ne subisse le même sort que celui qu’il venait de subir.

C’est plus tard, à l’hôpital de Saint-Jérôme, que Carol Morissette a appris l’identité de la victime : « Je le connaissais, c’est quelqu’un que j’avais déjà croisé sur les pentes, avec qui j’avais déjà partagé des remonte-pentes. Je l’avais vu ce matin-là, dans le stationnement. »

M. Morissette dit que l’ambulance appelée sur les lieux pour le transporter à l’hôpital a finalement été utilisée pour transporter M. Proulx, vu son état plus grave. Il dit avoir été transporté à Saint-Jérôme dans l’ambulance appelée pour l’accident de M. Proulx.

Qu’est-ce qui a catapulté Carol Morissette – et fort probablement Gérard Proulx – dans les airs, à leur insu, au milieu d’un nuage de neige ?

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Simon Pagé, vice-président des Sommets, a insisté pour dire que la signalisation était conforme.

M. Morissette dit avoir descendu la piste Laurentides la veille, lundi 15 janvier, et n’avoir rien aperçu qui puisse ressembler à une rampe pour faire des acrobaties : « Ça ressemble à une rampe de compétition, ils ont dû faire ça durant la nuit. »

Simon Pagé, vice-président des Sommets, l’organisation qui chapeaute quatre stations de ski des Laurentides, dont le versant Avila du Sommet Saint-Sauveur, a accepté de répondre aux questions de La Presse.

Sur les lieux des accidents, M. Pagé affirme qu’ils sont survenus au bas de la piste Laurentides, à la base de la montagne, à la jonction de pistes contiguës.

« Les deux accidents sont-ils survenus exactement au même endroit ?

— Je ne peux pas dire, mais c’est le même secteur. »

M. Pagé affirme qu’il y a eu enneigement par canons près de la Laurentides, dans le secteur du parc à neige voisin, sur la Piedmont.

« M. Morissette dit s’être envolé, comme s’il était sur une rampe…

— Il y a des détails que je n’ai pas, a répondu le VP des Sommets, mais s’il dit s’être envolé, c’est probablement à cause d’un amoncellement de neige qui était en fabrication. »

Est-ce que les accidents de MM. Proulx et Morissette ont été causés par le même amoncellement de neige ? Réponse de Simon Pagé : « On collabore à l’enquête de la Sûreté du Québec et à celle de la coroner. »

Qu’ont fait les patrouilleurs, quand M. Morissette leur a enjoint de fermer la piste ? Réponse de M. Pagé : « Il est possible qu’il ait mentionné ceci, mais il est essentiel de comprendre que la priorité à ce moment-ci est de donner les premiers soins, comme la piste était bien balisée avec le pictogramme, le tout conforme avec la loi en vigueur. »

Une enquête du Bureau du coroner est en effet en cours, enquête à laquelle la Sûreté du Québec prête assistance.

« Ce sport comporte une responsabilité partagée »

M. Pagé ne pouvait dire, hier, si des mesures supplémentaires pour prévenir du danger avaient été mises en place après le premier accident, celui de M. Morissette, par exemple par des « bambous », ces bâtons en croix parfois installés en amont d’un secteur dangereux.

Quant au temps écoulé entre les deux accidents, Simon Pagé l’a estimé entre 40 et 60 minutes. Après le deuxième accident, qui a causé la mort de Gérard Proulx, la piste Laurentides a été fermée, « puisque nous devions faire enquête suite aux incidents ».

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Une enquête du Bureau du coroner est en cours, enquête à laquelle la Sûreté du Québec prête assistance.

« On met tellement d’énergie à être des marchands de bonheur, on déplore cette situation. […] Qu’on le veuille ou non, c’est un sport qui comporte certains risques. Ce sport comporte une responsabilité partagée. » 

Nous avons la responsabilité de mettre en place une signalisation adéquate. Mais la clientèle a aussi la responsabilité de prendre connaissance de la signalisation.

Simon Pagé, vice-président des Sommets

Dans ses échanges avec La Presse, Simon Pagé a insisté pour dire que la signalisation était conforme : « Le pictogramme indiquait qu’il y avait de l’enneigement en aval de la piste Piedmont, qui était une piste fermée. Le pictogramme se trouvait en amont de la jonction de la piste Laurentides et de la Piedmont, à 140 pieds de l’amoncellement : les skieurs provenant de la Laurentides arrivent directement face à ce pictogramme. »

Carol Morissette, lui, est formel : il n’a jamais vu de pictogramme prévenant d’un quelconque enneigement, à la sortie de la piste Laurentides, mardi matin.

De son lit aux soins intensifs, M. Morissette peste à propos des responsables de la gestion des pistes, au versant Avila du Sommet Saint-Sauveur : « Quelqu’un n’a pas fait sa job. »

1. Lisez le texte « Accident de ski mortel au Sommet Saint-Sauveur » 2. Voyez les pistes de la montagne