Craignant d’être expulsées de leur résidence pour aînés, certaines personnes âgées ont encaissé ces dernières années des hausses de loyer dépassant les 65 % et payent jusqu’à 100 000 $ par année pour se loger et recevoir différents services. Québec promet une aide financière additionnelle de 200 millions sur cinq ans pour les services offerts dans ces milieux. Est-ce que ce sera suffisant ?

Quand la mère de Louise Chaput a déménagé dans un appartement pour personnes non autonomes des Jardins Millen, en juin 2022, la dame de 94 ans payait 5593 $ par mois pour son logement et ses services. Treize mois plus tard, la facture explosait à 9328 $ par mois, soit plus de 111 000 $ par année.

« Une augmentation de 66,8 % en un an. C’est fou », dit Mme Chaput.

Sa mère habitait depuis 11 ans dans cette résidence de Montréal, dans la section pour personnes autonomes. Mais en mai 2022, pour cause d’incapacité physique, elle déménage à l’étage pour personnes non autonomes.

Une première évaluation estime qu’elle a besoin de 1,49 heure de soins par jour. Le loyer de base est fixé à 2374 $ par mois. Ce à quoi s’ajoutent 3219 $ par mois pour les soins et services (5593 $ au total).

En février 2023, nouvelle évaluation. On considère que la mère de Mme Chaput, qui s’est cassé une hanche à l’automne, a besoin de beaucoup plus de soins. La facture totale passe à 7125 $ par mois. « J’ai accepté. Elle avait besoin de plus de soins. Et j’avais peur que si je refuse, on la renvoie », dit Mme Chaput.

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La mère de Louise Chaput a vu le coût de son logement aux Jardins Millen exploser dans les dernières années.

En septembre 2023, le montant du loyer mensuel est à nouveau haussé, à 9328 $. Cette fois, Mme Chaput conteste. D’autant plus que, selon elle, les services ne sont pas à la hauteur.

Ça ne me dérange pas de payer. Mais ça prend des services ! Vous me faites payer pour une Porsche, mais vous me donnez une Honda !

Louise Chaput

Depuis, une place en maison des aînés a été trouvée pour sa mère. Mais pour Mme Chaput, cette aventure aura été difficile. « Tu te sens prise en otage. Car tu ne peux pas aller ailleurs. Tu attends une place en CHSLD, et les autres RPA ne la veulent pas », dit-elle.

Le Groupe Maurice, qui possède Les Jardins Millen, a dit ne pas pouvoir discuter de dossier spécifique. Mais par courriel, l’entreprise indique que les besoins de ses résidants en lourde perte d’autonomie sont réévalués « aux six à huit mois » par « une infirmière licenciée ». L’entreprise affirme que, par manque de places d’hébergement dans le réseau public, certaines personnes en lourde perte d’autonomie demeurent chez eux « plus longtemps que nécessaire ». « Cette attente se traduit inévitablement par un rehaussement des services […] et, malheureusement, une augmentation des frais pour le résidant ou la famille, à moins d’entente particulière avec le CISSS-CIUSSS », affirme le Groupe Maurice.

Au cours des derniers mois, La Presse a récolté plusieurs témoignages semblables à celui de Mme Chaput. La mère de Catherine*, qui habite depuis trois ans une RPA du Grand Montréal, a par exemple vu sa facture bondir à 100 000 $ par année l’an dernier. « Ça n’a pas d’allure. Ma mère a carrément épuisé ses économies », affirme-t-elle.

Diane* a elle aussi sursauté en apprenant que le loyer de sa mère qui habitait dans une RPA de Montréal augmenterait de 2000 $ par mois, en décembre 2022, pour atteindre 84 000 $ par année.

En épluchant la facture de sa mère, Diane a noté que plusieurs actes semblaient facturés en double. On lui réclamait aussi près de 300 $ par mois pour de l’aide à l’alimentation alors que sa mère mangeait très bien seule.

On est conscient que les coûts ont augmenté en RPA depuis la pandémie. Mais c’est comme si ce sont juste les aînés qui payent la facture. Et comme si parfois, on étire beaucoup l’élastique.

Diane*

Se résigner à hausser les frais

Conseillère au DIRA-Laval, Élaine Pinsonneault accompagne les aînés dans le renouvellement de leurs baux. Elle explique que le montant du loyer de base en RPA est fixé par les règles d’augmentation de la Régie du logement. Mais les coûts liés aux services, comme les repas et les soins personnels, ne font pas l’objet d’un encadrement. Les hausses sont parfois salées. « Les RPA disent que la bouffe coûte plus cher, que les employés coûtent plus cher… », explique-t-elle.

Porte-parole du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA), Hans Brouillette confirme qu’avec la conjoncture économique, la pénurie de personnel et les nombreuses exigences réglementaires, la pression est forte sur les RPA. Signe que l’industrie est de moins en moins attrayante : au moins 77 résidences privées pour aînés ont fermé dans la dernière année au Québec alors que seulement 12 ont été construites, comme le démontrait La Presse jeudi dernier.

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Hans Brouillette, porte-parole du Regroupement québécois des résidences pour aînés

Une RPA n’a pas intérêt à avoir des frais trop élevés. Mais à un moment, il y a un point de rupture. […] Des RPA ne sont plus capables d’absorber des pertes, et il faut parfois se résigner à hausser les frais.

Hans Brouillette, du Regroupement québécois des résidences pour aînés

Signe que de plus en plus d’aînés sont insatisfaits de leur tarification en RPA, les demandes d’information et d’assistance formulées à la Fédération des Centres d’assistance et d’accompagnement aux plaintes (FCAAP) ont été en hausse de 37 % l’an dernier, affirme Nathalie Dubois, directrice générale de la FCAAP, qui ne regroupe pas les centres de Montréal et de Laval.

Président de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR), Pierre Lynch note que seule une minorité de résidants osent dénoncer les hausses de coûts en RPA, « de peur des représailles ».

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Pierre Lynch, président de l’Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées

« Mais on voit que souvent, les prix augmentent sans cesse pour les services. Ou que les services offerts au début disparaissent au fil du temps. Que l’infirmière qui était sur place au début n’y est finalement qu’une fois par semaine… », illustre-t-il.

Une annonce attendue

La semaine dernière, la ministre responsable des Aînés, Sonia Bélanger, a annoncé que Québec lancera sous peu un programme pour subventionner une gamme de soins et services en RPA. Une grille nationale d’allocation fixant un prix pour chaque acte sera établie. Au cabinet de la ministre, on assure que ce programme « répondra à plusieurs enjeux », notamment la fermeture de RPA et les frais élevés payés par certains aînés. Mais tout va se jouer dans les détails, selon différents intervenants.

Les résidences dont la tarification sera plus élevée que les allocations versées par le gouvernement pourront-elles facturer le surplus à leurs résidants ? M. Brouillette, du RQRA, dit avoir demandé au gouvernement de pouvoir le faire.

Vice-présidente responsable des secteurs privés à la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Lucie Longchamp estime qu’il est « bien de faire le ménage dans les services » en RPA, mais elle ajoute que l’impact du nouveau programme « dépendra des modalités et à qui l’argent sera versé ».

Nous demeurons convaincus que le problème des RPA est le modèle d’affaires. Ce modèle axé sur le profit ne peut rimer avec services de qualité à bon prix.

Lucie Longchamp, vice-présidente responsable des secteurs privés à la FSSS–CSN

M. Lynch appuie l’initiative de la ministre. Mais il souhaite que le financement « passe par les personnes, et non les RPA ». Il rappelle que seulement 7 % des 1,85 million d’aînés de 65 ans et plus au Québec habitent en RPA. Et 2 % en CHSLD.

« Il ne faut pas oublier les autres. Surtout que le tiers des aînés vivent juste avec les revenus publics fédéraux et ne peuvent pas se payer une RPA. »

* Prénoms fictifs par crainte de représailles